Politique de l’Emploi (1/3) : Quelques règles basiques
A
l’occasion du franchissement de la barre des 3 millions par la
statistique officielle du chômage, je vous propose une série de trois
articles synthétisant quelques idées fondamentales sur le fonctionnement
du marché du travail.
- Dans ce premier article, je raconte l’histoire d’un petit village agricole sujet au progressisme social. L’analyse porte sur les notions que les étudiants américains appellent ECON101, c’est-à-dire les raisonnements sur l’équilibre des marchés décrits dans un premier cours d’économie.
- Dans le second billet, j’ajouterai un second produit et un second village, afin de replacer la discussion dans un contexte « international ». (lien à venir)
- Enfin, dans le dernier billet, je rendrai l’histoire un peu plus dynamique, pour expliciter l’effet de l’instabilité conjoncturelle sur l’emploi. (lien à venir)
Suivant cette feuille de route,
laissez-moi vous conter aujourd’hui l’histoire d’une économie primitive
et libre et de son évolution progressiste vers l’utopie socialiste.
Un village rustique
La peuplade dont je vous narre le
« combat social » s’était installée le long d’un fleuve, en une région
si désertique qu’il suffisait de s’éloigner de quelques lieues pour que
la terre devienne stérile. Et parmi les terres cultivables, possédées
par les capitalistes, celles les plus proches du fleuve donnaient les
meilleurs fruits, jusqu’à 100 quintaux de blés l’année, tandis que les
terres des champs les plus éloignés avaient des rendements parfois deux
fois moindres. Voici une carte des champs et de leurs rendements.
Allocation et salaires dans un marché libre
La culture d’un champ nécessitait
l’emploi d’un travailleur à temps plein. L’organisation de la production
et des échanges était laissée aux principes de la liberté et du
consentement mutuel, ce qu’on appelle aujourd’hui la loi du marché.
Comme la peuplade comprenait 25 paysans, l’issue du marché fut la suivante.
- Les 25 champs les plus productifs furent mis en culture
- Et le salaire des paysans fut fixé au niveau du rendement du 26ème champ le plus fertile, soit 65 quintaux de blé pour l’année.
Il était impossible qu’il en soit
durablement autrement. En effet, à supposer que le salaire fut en
dessous de 65 quintaux de blé par paysan, alors des propriétaires de
champs n’étant pas parmi les 25 les plus productifs trouveraient
rentables de mettre leur terrain en culture. Ainsi, ils priveraient les
champs les plus proches de la rivière de main d’œuvre, et ces derniers
seraient contraints d’élever leurs salaires jusqu’à 65 quintaux pour
s’assurer que ceci ne se produise plus. Inversement, si le salaire
devait trop largement dépasser 65 quintaux, on ne trouverait pas 25
champs rentables, et certains paysans se retrouveraient sans travail.
Une telle situation mettrait les travailleurs en concurrence pour un
nombre d’emplois insuffisants et ferait baisser les salaires jusqu’à 65
quintaux.
C’est la dure loi du marché que le marché
du travail n’est à l’équilibre que lorsque le niveau des salaires est
égal à la productivité du meilleur emploi non existant.
Le salaire minimum
Un jour, les villageois se réunirent pour
élire un chef. C’était un homme progressiste et très généreux qui leur
avait promis à tous davantage de blé pour nourrir leurs familles. Qui
pouvait contester l’humanisme d’une telle idée ? Aussi son premier acte
en tant que gouvernant fut de décider que les salaires seraient
désormais égaux à 80 quintaux de blé, et non plus à 65.
Hélas, un certain nombre de champs
produisant moins de 80 quintaux, leurs propriétaires décidèrent
logiquement de ne plus les exploiter. Seuls 20 champs restant en
culture, 5 paysans se retrouvèrent sans emploi.
Evidemment cela créa du mécontentement,
et certains se sentirent floués par la mesure. Pour autant, à l’élection
suivante, le chef fut réélu avec 80% des voix, soit celles des 20
paysans ayant profité de sa politique.
Une charge sociale pour aider les chômeurs
Mais comme le grand chef était un homme
très généreux et non un politicien soucieux de ses seuls électeurs (ce
qui n’est pas toujours le cas), il eut pour soucis de secourir ces
nouveaux démunis.
Il décida donc que désormais, de chaque
champ cultivé serait prélevé 5 quintaux de blé l’année afin de nourrir
les chômeurs. Pour les propriétaires de champs, cela était finalement
assez semblable à une baisse de 5 quintaux du rendement de leur terre.
Aussi, deux des champs ne produisant que 80 quintaux, il n’apporterait à
leur propriétaire que 75 quintaux de les cultiver. Mais cette culture
coutant les 80 quintaux du salaire minimum, les deux champs en questions
furent mis en jachère en attendant des jours plus propices aux
affaires… et les deux paysans qui les exploitaient vinrent s’ajouter à
la masse des nécessiteux, désormais au nombre de 7.
Réduction du temps de travail
Le chef eut alors une dernière idée. S’il
n’y avait désormais plus assez de champs mis en culture pour occuper
tout le monde, il fallait simplement qu’un champ occupe plus d’une
personne. Pour cela, son idée était de réduire le temps que la loi
autorisait à travailler quotidiennement. Ainsi, un technocrate avait-il
calculé qu’il ne faudrait plus 1 mais 1,1 travailleur pour cultiver un
champ. Aussi, était-il convenu qu’une telle mesure accroîtrait de 10%
l’offre d’emploi. On convoqua les 18 paysans ayant toujours un emploi
pour leur demander leur avis – cela s’appelait le dialogue social – et
ces derniers exigèrent que cette mesure n’entraina point de baisse des
salaires. Ce qui fut accordé.
Ainsi, il coûtait désormais 80*1,1=88€
d’exploiter un champ. Et les champs dont le rendement était inférieur à
ce coût furent à leur tour laissés en friche. Seuls les 12 champs
bordant le fleuve furent laissés en culture, occupant 13,2 paysans. Les
11,8 autres se retrouvant sans emploi.
Plus tard, la situation catastrophique
contraignit le chef socialiste à s’allier à la prêtresse des flots pour
assurer sa réélection. Mais en échange de son soutien, cette dernière
exigea qu’il soit interdit de cultiver les champs bordant le fleuve car
l’agriculture, en ces endroits, troublait la quiétude des crocodiles
sacrés… Mais je préfère arrêter ici ce chapitre et laisser le reste à
votre imagination.