jeudi 18 octobre 2012

Cyrano de Bergerac Acte V, 6

Je vais monter dans la lune opaline
Sans qu'il faille inventer, aujourd'hui, de machine
Mais oui c'est là je vous le dis
Que l'on va m'envoyer faire mon paradis
Plus d'une âme que j'aime y doit être exilée,
Et je retrouverai Socrate et Galilée
...
Philosophe, physicien,
Rimeur, bretteur, musicien,
Et voyageur aérien
Grand riposteur du tac au tac
Amant aussi  - pas pour son bien
Ci-gît Hercule -Savinien
De Cyrano de Bergerac
Qui fut tout et qui ne fut rien
Mais je m'en vais, pardon, je ne peux faire attendre
Vous voyez le rayon de lune vient me prendre !
...
Pas là ! non !  pas dans ce fauteuil !
Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
Ganté de plomb !
Oh ! mais ! ... puisqu'elle est en chemin, je l'attendrai debout
Et l'épée à la main !
...
Je crois qu'elle regarde...
Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde
Que dites-vous ?... C'est inutile ?... Je le sais!
Mais on ne se bat dans l'espoir du succès !
Non ! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !
-Qu'est-ce que c'est que tout ceux-là - Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
Tiens tiens ! - Ha ha ! les Compromis
Les Préjugés, les Lâchetés ! ...
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! - Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ;
N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tâche,
J'emporte malgré vous
Et c'est...
C'est ? ...
Mon panache.

Edmond Rostand





Sermont Evangelique Caroline du Nord (USA)

Respectez le patron. Honorez-le. Soyez honnête avec lui. Ne lui dissimulez rien. Souvenez-vous : tant qu'il est dans ses murs, c'est lui qui a raison. Travaillez pour votre patron comme si c'était Dieu !

Avec citations de la Bible à l'appui.

Traduction : ni droit du travail, ni syndicats

Et le sermont se conclut toujours par la même formule:

A chacun son église, à chacun son Dieu, à chacun sa Bible

jeudi 11 octobre 2012

Prolonger la boucherie

Prolonger la boucherie

J'avais reconnnu l'adversaire que j'avais à combattre - le faux héroïsme qui préfère envoyer les autres à la mort, l'optimisme facile des prophètes sans conscience, politiques aussi bien que militaires, qui, promettant sans scrupules la victoire, prolongent la boucherie ; et derrière eux, le choeur stipendié de tous ces "phraseurs de la guerre" que Werfel a mis au pilori dans son beau poème.
Quiconque exprimait un doute les gênait dans leur commerce patriotique ; quiconque prodiguait ses mises en garde, ils le traitaient de pessimiste et se moquaient de lui ; quiconque combattait la guerre, dont eux-mêmes n'avaient pas à souffrir, ils le stigmatisaient comme un traître.
C'était toujours la même clique, éternelle à travers les âges, de ceux qui appellent lâches les prudents et faibles les plus humains, pour demeurer eux-mêmes désemparés au moment de la catastrophe qu'ils ont provoquée par leur légèreté. C'était toujours la même bande, la bande de ceux qui bafouaient Cassandre à Troie, Jérémie à Jérusalem, et jamais je n'avais compris le tragique et la grandeur de ces figures comme en ces heures trop pareilles à celles qu'ils avaient vécues.
 
Stefan Zweig, Le Monde d'hier
 
Lu récemment le monde d'Hier, un peu sur les conseils de Fred Delorca. J'y trouve cet extrait, qui vise les partisans enthousiastes de la première guerre mondiale. Je ne peux m'empêcher de faire le lien avec les partisans enthousiastes de l'euro, qui tenteront tout pour faire triompher leur hubris souverainiste. Jusqu'au dernier grec.
 
Le manque de temps, mais aussi d'intérêt, m'empêchent de commenter comme il le faudrait les péripéties du "sauvetage" de la monnaie unique. 
 
J'ai juste entendu Jacues Attali sur Inter ce matin, assurer qu'abandonner l'euro serait perdre 30% de croissance. Ca tombe bien, la croissance française sera nulle cette année... Il a ajouté que la mise en ordre de la zone euro permettrait à la croissance de repartir, grâce à l'arrivée de capitaux étrangers. Quel formidable aveu d'échec ! Il a donc fallu unifier la zone euro à coup de saignées récessives pour aboutir à une situation où, comme dans n'importe quel pays en voie de développement conseillé par l'attelage FMI/Banque Mondiale, le salut viendra de la bienveillance des investisseurs étrangers !
Tant d'efforts pour construire la plus formidable zone de croissance de la planète ; enfin rendue indépendante de l'extérieur, sauvant des pays "trop petits pour s'en sortir seuls" et en arriver à tendre la sébille, le doigt sur la couture du pantalon ! Quelle déroute !
 
Faut-il enfin, face à cela, manifester le 30 septembre ?
 
Je suis favorable à un référendum sur le TSCG, ce nouveau tour de vis européen (je sais que certains écrivent que le TSCG permet d'avoir un déficit structurel de 0,5%, ce qui serait plus favorable qu'un déficit tout court de 3%. Qui apprécie les 0,5 % La Commission. Comment calcule-t-on un déficit "structurel" ? En réalité, personne ne le sait. On peut donc faire ce que l'on veut en matière de définition, et cette règle de 0,5% revient à donner un contrôle budgétaire absolu à "Bruxelles").
 
A priori, je suis donc favorable à cette manifestation. Je regrette juste que le Front de gauche soit en tête de la mobilisation. Je n'oublie pas que le Front de gauche soutient l'euro, pour des raisons incompréhensibles, feignant de croire qu'un euro différent est possible sans bafouer l'Allemagne et quelques autres pays. J'y serai donc peut-être, mais en traînant les pieds.
 
Et je souhaite que Hollande comprenne le plus tôt possible que son soutien à l'euro lui coûtera sa réélection.

La Lettre Volée Octobre 2012

Alexandre Jardin - Des gens très bien - Notes sur le TSCG

jardin-tres-bien.jpg Que faisait votre grand-père le 16 juillet 1942 ?
 
Celui d'Alexandre Jardin devait attendre fébrilement les rapports de la police de Paris lui signifiant que l'arrestation de familles juives et leur regroupement au vélodrome d'hiver s'étaient bien passées.
Jean Jardin était en effet directeur du cabinet de Pierre Laval, chef du gouvernement désigné par Pétain.
Pas glorieux comme position.
 
Jean Jardin a pourtant, après-guerre, poursuivi une carrière certes en recul, mais qui l'a amené à côtoyer certains des plus hauts responsables du pays - jusqu'à financer les débuts de carrière de François Mitterrand (qui préfaça le dernier tome de la vie de Jean Jardin racontée par Pascal Jardin, son fils, et père d'Alexandre - cf. un numéro de l'Unité ou Mitterrand évoque cette préface).
 
Cela donne à Alexandre Jardin un regard très désabusé, ou averti, sur le monde politique.
 
On ne sort pas complètement indemne d'une volonté tenace de regarder les choses en face.
 
Cette volonté de savoir est le contre-coup, chez Alexandre Jardin, d'un long refoulement. L'auteur de romans éthérés et joyeux, forcément joyeux, a vécu dans une famille où l'oubli du passé était une règle vitale.
Il a du coup grandi un peu à côté de ses pompes, et a décidé progressivement d'ouvrir les yeux.
 
Le livre raconte ce cheminement, comment l'idée, puis l'envie, lui sont venues de creuser un peu le passé collaborationniste de son grand-père.
*
C'est donc aussi une histoire française : on voit bien comment, de Binet à Jonathan Littell en passant par Yannick Haennel, les petits enfants des acteurs de la deuxième guerre mondiale s'intéressent non pas aux faits, c'est un travail qui a été entamé dans les années 60/70/80, mais à la façon dont la connaissance de ces faits doit être reçue - approfondie ou oubliée.
 
Alexandre Jardin penche pour l'approfondissement.
 
Il le fait, à sa façon, convaincante. Il est parfois naïf, ou touchant, quand il a l'air de vouloir, même après leurs morts, faire des scènes à ses ascendants : le grand-père, collaborateur au plus haut rang et le père, coupable d'avoir enjolivé le passé familial. Touchant aussi quand il prend conscience de la vacuité de ses romans précédents, tout entiers consacrés à éviter les questions sensibles : "Tous mes volumes furent lus par des gens probablement aussi malades du réel que moi ; et ils furent nombreux".
 
Mais en contrepartie, il a de nombreux accents de sincérité indéniables. Par exemple en remerciant, en début et en fin de son ouvrage, l'historienne Annie Lacroix-Riz, qui lui a communiqué des archives sur le rôle de Jean Jardin, trouvées dans le cadre de son travail d'historienne de la France pendant les années 30/40.
 
L'historienne est pourtant des plus sulfureuses, tant sa volonté de rappeler les nombreux liens entre les élites françaises de l'époque et les milieux nazis peut choquer - un article du Monde de 1996 relate comment un article sur la collaboration de certaines entreprises françaises a été refusé par une revue publique ("Des entreprises françaises au service de l'Allemagne nazie", 11 octobre 1996).
 
On frémit aussi au récit d'une rencontre entre Alexandre Jardin et une ancienne nazie, réfugiée en Suisse, qui lui déclare tranquillement : "pourquoi n'aurions nous pas le droit de dire aujourd'hui, avec reconnaisance, que cette histoire fut grande et belle ? Même si nous avons fait fausse route, indéniablement, nous n'étions pas les plus mauvais de notre génération."
 
C'est probablement l'une des clés de sa recherche. Cette survivante est comme l'a été le grand-père de Jardin, toujours convaincue d'avoir fait, dans l'horreur, en y participant, pour le mieux.
 
Il n'est pas sûr que ce seul livre suffise à Alexandre Jardin à comprendre pourquoi des personnes dotées d'un idéal moral élevé ont pu se compromettre avec des régimes inhumains. Peut-être que d'autres suivront, qui devront aller plus loin que l'assertion trop rapide jetée par l'auteur : "La chosification d'autrui permet tout. Cela commence par le SDF que l'on enjambe un soir d'hiver sur un trottoir et cela se termine à Auschwitz".
 
Il reste que ce livre est une très belle façon d'encourager le lecteur à ouvrir les yeux : comprendre que c'est à la fois douloureux mais aussi utile et libérateur.
*
Ce billet est rédigé le jour où l'Assemblée nationale a voté le TSCG. Nicolas Dupont-Aignan a comparé le vote contre de 70 députés au refus de 80 parlementaires, en 1940, d'accorder les pleins pouvoirs à Pétain. C'est maladroit. Mais il y a un point commun direct, non entre l'Union européenne et Pétain, mais entre les parlementaires qui ont voté oui en 1940 et en 2012. Je les crois animés, pour un bon nombre d'entre eux, d'une farouche volonté de ne pas voir, ni savoir. Pétain hier abaissait la France, l'Union européenne et l'euro, aujourd'hui, ruinent l'Europe. Il faut faire de très grands efforts, en 2012, pour ne pas comprendre que le vote d'aujourd'hui prolonge un régime inacceptable, certes à un degré moindre.
*
Sur le vote de ce jour, lire un très bon billet d'un politiste grenoblois, dont j'extrais ceci : "Toute une partie du Parti socialiste semble en effet approuver ce texte uniquement pour des raisons de haute politique européenne, tout en pariant que le jeu européen aura changé avant d’avoir à faire les choix drastiques que ce Traité implique (par exemple, la diminution radicale du nombre de communes, de plus 36000 à 5000 tout au plus, la suppression plus généralement d’une bonne part des administrations locales et de leur personnel doublonnant)." Ne pas voir donc. Cela réclame de grands efforts. Les braves parlementaires qui ont voté oui peuvent toujours se dire que les textes ne seront pas appliqués, qu'ils ne sont pas si nocifs, c'est un peu la position du soldat qui a participé au peloton d'exécution et dont on a préservé la conscience en glissant, dans l'un des fusils, une cartouche à blanc.
*
Pour finir, la comparaison entre Pétain et le régime actuel est un peu forcée. Mais l'on peut, sans trop exagérer, trouver des points partiels de recoupement. Ainsi d'une circulaire de Vichy destinée à orienter la communication à propos du procès fait à Léon Blum, à Riom. Cette phrase de conclusion : "La France est condamnée à construire un régime nouveau ou à périr" (cité par Gérard Miller, dans "Les pousse-au-jouir du Maréchal Pétain"). Même motif que celui qui voit dans l'Union Européenne le seul chemin pour une France, sans cela condamnée. Même résignation devant des faits présentés comme naturels, inéluctables.
 
Proximité plus idéologique cette fois-ci. Toujours Gérard Miller : "Le pétainiste, pourtant, serait plus régionaliste que nationaliste, comme il est plus provincial que parisien. Il est anti-jacobin. C'est ainsi qu'il n'aime pas le département." Miller cite ensuite un auteur pétainiste de l'époque : "Tout le monde sait ce qu'est un Basque, un Berrichon, un Bourguignon ; quant à se proclamer Maine-et-loirien ou Haut-Garonnais, l'idée n'en viendrait à personne".
*
Vaste sujet. Dans ce débat européen, je ne veux mépriser personne. Mais je plains ceux qui ne veulent pas voir.

La Lettre Volée 

mercredi 10 octobre 2012

Que faire ?

Que faire ?
Charles Sannat, 10/10/2012
Mes chères contrariées, mes chers contrariens,

L'un de nos camarades contrariés m'écrivait il y a quelques jours la chose suivante : « Ceci pour dire qu'il est aisé de critiquer l'augmentation des impôts... La question que je me pose est : que devrait-il faire ? »

Hervé B. me parlait d'un édito dans lequel je critiquais la politique du tout fiscal de notre gouvernement. Mais la question essentielle reste bien « que devrait-il faire ? »

Je ne critique pas le gouvernement parce qu'il est socialiste, cela n'est d'aucune importance. Je critique ce qui me semble mauvais, en mon âme et conscience. D'ailleurs, j'ai trouvé que le discours de la conférence environnementale était un grand pas justement vers une solution et vers la réponse à la question : « Que faire ? »

Ce n'est pas de la langue de bois. Loin s'en faut. Mais la première réponse à cette question tient en d'autres questions préalables auxquelles nous devons d'abord répondre.

Contre quoi nous battons-nous ?

Pour répondre à cette question du « que faire », encore faut-il être capable d'établir un diagnostic partagé. Jusqu'à présent, on ne peut pas dire que les raisons de la crise actuelle fassent l'objet de débats intenses y compris par les économistes.

Pour certains, la crise est financière et trouve son origine dans les errements de la finance, dans une mauvaise régulation ou encore dans la désormais très célèbre crise des « subprimes ». C'est vrai et c'est partiel.

Pour d'autres, la crise, c'est la « faute à » la mondialisation. Nous avons perdu nos capacités de production au profit des pays émergents et du premier d'entres eux, la Chine. Nous devenons des musées, des économies basées sur les services immatériels. Nous ne produisons plus de véritables richesses, mais, surtout, en passant d'une économie de la production à une économie du service, nous avons supprimé une part significative des emplois. Or le travail reste, dans nos économies, le principal vecteur de redistribution.

C'est vrai et pourtant c'est partiel.

Pour les écologistes, la crise est environnementale. Nous détruisons notre planète. Nous consommons chaque année plus de ressources que la Terre ne peut nous en fournir. Nous devons devenir « décroissants ». J'ai déjà exprimé à de multiples reprises mon point de vue, en dehors de toute idéologie « écolo ». La croissance infinie dans un monde fini est, par nature, une aberration intellectuelle. Alors, c'est vrai bien sûr. Mais c'est partiel.

Pour les souverainistes, les nationalistes ou les patriotes (je le dis sans aucune connotation négative de quelque sorte), la crise, c'est la « faute à l'euro », « la faute à la monnaie unique ».

Comme l'a encore si bien dit Nicolas Dupond-Aignan à l'assemblée nationale lors du débat sur le traité budgétaire, il est illusoire de croire que nous pouvons avoir une monnaie unique, alors que nous avons des zones économiques hétérogènes, si cela n'est pas accompagné d'une économie de transfert des pays riches, compétitifs et excédentaires, vers les pays pauvres, peu compétitifs et déficitaires. C'est parfaitement vrai. D'autant plus que nos grands amis allemands ne semblent pas particulièrement pressés de payer pour toute l'Europe du Sud, France comprise. J'en veux pour preuve les dernières déclarations du Ministre allemand, disant avant son arrivée à l'Eurogroupe qu'il n'est pas utile que l'Espagne demande l'aide de l'Europe, ce qui peut vouloir dire aussi que l'Allemagne n'a pas envie de payer pour l'Espagne.

Donc, tout cela est parfaitement vrai. Et pourtant c'est partiel.

Pour les libéraux, la crise, les déficits, la dette, tout cela, ces boulets qui enchaînent nos économies, c'est lié à la présence d'un état omniprésent, omnipotent, omniscient et omnivore de richesse produite. Trop d'état, trop de dépenses sociales, trop d'assistanat, trop de taxes pour financer des états providence devenus obèses.

C'est assez vrai en Europe, particulièrement du Sud. Cela l'est nettement moins pour les pays anglo-saxons, Royaume-Uni et États-Unis en tête. Alors oui, l'état est trop gros, particulièrement en France, mais l'endettement est partagé par tous les pays occidentaux, y compris les plus libéraux. Alors c'est vrai. Mais encore une fois, c'est partiel.

Pour les socialistes, les communistes, les crypto-marxistes, et toute autre personne teintée des idéaux de gauche (je le dis sans aucune connotation négative de quelque sorte), la crise est liée à l'ère de l'argent-roi, à une mauvaise redistribution des profits et des inégalités qui augmentent. Pour eux, la crise, c'est les banques et les banquiers. Surtout les traders. Ceux qui font n'importe quoi, et disons-le, ces derniers temps il y en a un paquet. La crise, c'est aussi un manque de régulation. La mise au pas de la finance et la fin du toujours plus de profits et ses cortèges de licenciements boursiers.

C'est évidemment vrai. Mais c'est partiel.

Pour les européistes, la crise, c'est le manque d'intégration européenne et l'absence de fédéralisme. Il faut donc forcément plus et mieux d'Europe, moins de décisions nationales, plus de décisions fédérales, de mécanismes communs.

Il faut le renforcement de l'intégration européenne, des « unions bancaires », fiscales ou budgétaires. C'est bien sûr vrai. Il ne peut y avoir de monnaie unique avec 16 pays différents. Néanmoins, cela reste partiel.

Une crise multifactorielle

Vous l'aurez compris, et cette liste est loin d'être exhaustive, la crise que nous affrontons n'est pas qu'une crise de gouvernance, elle n'est pas qu'une crise d'endettement, elle n'est pas qu'une crise environnementale, elle n'est pas qu'une crise européenne ou de la monnaie unique l'euro, elle n'est pas qu'une crise de l'état providence, elle n'est pas qu'une crise démographique, elle n'est pas qu'une crise de la mondialisation et de ses déséquilibres.

Non, la crise que nous affrontons est le cumul de l'ensemble de ces crises. À un tel niveau de complexité, d'imbrication, de déséquilibre, le terme même de crise est impropre.

Nous ne sommes pas en crise. Nous sommes face à une reconfiguration complète de nos modes de fonctionnements économiques sous la pression de facteurs historiques. Nous entrons dans un nouveau monde. Quitter l'ancien ne peut se faire que dans la souffrance.

Des enjeux démographiques aux volontés de puissance de certains états, de la construction européenne qui nous est proche à celle de nouveau grands ensembles, des progrès technologiques destructeurs d'emplois à la mondialisation, du défi de la redistribution des richesses à celui de l'alimentation, partout, le monde que nous avons connu après la Seconde Guerre mondiale s'effondre.

Avec cet effondrement, ce sont nos certitudes qui vacillent, qu'elles soient politiques, économiques, géopolitiques, ou même scientifiques et techniques, sans oublier les aspects sociétaux.

Un peu d'histoire

La croissance économique est, pour la grande majorité, synonyme de croissance du confort, du bien-être. Bref, la croissance économique, c'est le progrès sous toutes ses formes ! C'est globalement vrai depuis le début de la révolution industrielle.

Depuis l'avènement de cette période, notre modèle économique – à l'exception notable de l'épisode communiste qui fut une parenthèse de 70 ans refermée pour cause d'échec – est celui de la croissance infinie, basée sur la consommation de masse et de l'énergie abondante et peu coûteuse.

Jusqu'à présent, notre planète pouvait nous fournir les ressources nécessaires. Ce n'est plus le cas.

Parallèlement, depuis la Seconde Guerre mondiale, le monde était « géopolitiquement » gelé, bloqué par la guerre froide.

L'empire soviétique était à l'abri du rideau de fer. La Chine recluse derrière sa grande muraille. Il y avait deux mondes qui ne se parlaient pas. Dans ce monde d'autrefois, la mondialisation n'était tout simplement pas possible. Les délocalisations ne pouvaient pas se produire.

Quelque part, dans un monde aussi fermé, les idées mêmes s'échangeaient moins vite. Les progrès étaient plus lents. La courbe de l'évolution de la population que nous reproduisons ci-dessous est à l'image de l'évolution de notre monde où tout est devenu exponentiel depuis la chute du mur de Berlin. 1990. Voilà la césure.

1990, le début d'une fin annoncée

Comme tout raisonnement de ce type, évidemment, cela reste partial. Néanmoins, la grande rupture, c'est bien la chute du mur de Berlin qui matérialise l'effondrement du communisme.

Beaucoup l'ont vu comme la victoire par K.O. du capitalisme et donc de sa suprématie intellectuelle. C'est vrai, mais partiel encore une fois ! Le communisme, par son existence même, était en réalité le meilleur des contrepouvoirs au capitalisme triomphant et dérégulé. C'est la chute du communisme qui entraîne une dérégulation massive de l'ensemble de nos économies. Vingt ans après, nous pouvons constater les dégâts d'un système totalement brinquebalant.

La mondialisation, les délocalisations et les dérégulations sont les enfants directs de la chute du mur de Berlin. Ni bien, ni mal, c'est un fait.

Sans contrepouvoir idéologique, nous ne pouvions qu'aller vers des excès prévisibles compte tenu de la nature humaine qui, dans ses grandes masses, n'a jamais brillé par la sagesse.

A la question « que faire », on peut presque affirmer que nous ne ferons rien !

Alors effectivement, des réponses existent, et nous en reparlerons plus loin. Avant tout, je souhaitais revenir sur un point qui me semble déterminant.

Pourquoi depuis cinq ans nous n'avons pas fait grand-chose et pourquoi nous ne ferons rien de plus dans les cinq ans qui viennent.

Sans doute parce que nos sociétés sont figées. Par figées, j'entends que les positions naturelles sont toutes occupées et prises, que des acteurs sont là, que chaque groupe est également constitué en groupe de pression et veille naturellement à la préservation de ses intérêts. Ni bien ni mal là encore, mais une simple constatation factuelle du mode de fonctionnement de nos sociétés.

Des syndicats au patronat, des lobbyistes aux groupes de pression, le moindre changement, la moindre réforme se heurte à une résistance farouche de ceux qui « ont à perdre » dans la nouvelle donne envisagée.

Certains me diront que les Américains n'ont pas vraiment le problème de la « CGT ». Certes. Mais ils ont le problème de Wall Street. C'est certainement aussi grave, si ce n'est plus !

Nos sociétés ont atteint des niveaux où elles sont tout simplement irréformables. Cela s'est déjà produit à de multiples reprises dans l'histoire du monde.

Le changement n'est en réalité possible qu'à partir du moment où on ne peut plus le différer. Ce moment est souvent celui de l'effondrement.

Que le gouvernement soit UMP ou PS, peu importe. La marge de manœuvre dans tous les cas est extrêmement faible si l'on souhaite « respecter » les codes et les dogmes en vigueur.

Rester dans le cadre, c'est aller tout droit à l'échec pour toutes les raisons que nous avons listées plus haut. Sortir du cadre prématurément, c'est prendre un risque politique majeur.

Logiquement, nous préférons donc tous nous tromper collectivement que de prendre le risque d'avoir raison tout seul.

Alors que faire ?

La fiscalité environnementale.

Il faudrait mettre en place une véritable fiscalité environnementale, qui prendrait en compte le véritable coût de production d'un bien. Son coût de production, ce n'est pas que la main-d'œuvre. C'est aussi et surtout le coût de la matière première non-renouvelable, le coût en pollution, le coût en transport. Avec une fiscalité comme celle-là, le prix des choses changerait du tout au tout. La nécessité des délocalisations aussi. Les bénéfices des grandes multinationales chuteraient de façon dramatique. Des millions d'actionnaires perdraient beaucoup d'argent. Nous ne le ferons pas et pourtant nous y viendrons.

Répudier la dette.

Il faudrait répudier les dettes, plutôt que d'essayer de faire croire désespérément que nous arriverons à la rembourser à coup d'austérité de plus en plus forte au fur et à mesure où les récessions s'aggravent en raison même des plans d'austérité décidés pour pourvoir payer les dettes. Absurde ! Vouloir payer à tout prix les dettes a pour conséquence une insolvabilité empêchant de les rembourser !!

Ne pas rembourser les dettes, c'est ruiner l'ensemble des épargnants en une seconde. Toute l'épargne de millions de vies anéantie en une décision. Le lendemain, ce sera l'impossibilité pour l'état d'emprunter sur des « marchés » qui n'existeront plus. Nous ne le ferons pas et pourtant nous y viendrons.

Sortir du carcan de l'euro.

Il faudrait sortir de la monnaie unique. C'était une belle l'idée, comme l'Europe d'ailleurs. Cela ne pouvait pas fonctionner. L'euro était une construction politique. Pas une construction économique. Il n'y a pas d'Union de transfert et il n'y en aura pas puisque les Allemands considèrent à juste titre qu'ils n'ont pas vocation à payer les RSA et la CMU française.

L'euro fort pour les Allemands est une bonne chose. Il étouffe les pays moins compétitifs comme la France. Il détruit les pays encore moins compétitifs comme l'Espagne. Il anéantit carrément des pays comme la Grèce.

Le temps de la construction européenne n'est pas celui des crises ni des marchés. Il vaut mieux sortir en bon ordre que d'attendre la catastrophe inévitable. Nous ne le ferons pas et pourtant nous y viendrons, car l'euro est en train de se disloquer sous vos yeux.

Accepter la décroissance et le capitalisme durable.

La croissance infinie dans un monde fini, c'est fini ! Terminé. Deux solutions :

   nous éliminons 50 % de la population humaine par un génocide dont les critères d'épuration sont à déterminer ;

   nous essayons tant bien que mal de vivre tous ensemble, le mieux possible. Et là, pas le choix. Nous devrons choisir ce que nous ferons croître, comme certaines technologies, et nous devrons choisir ce que nous ferons décroître, comme certains aspects de la surconsommation stupide que nous pouvons tous les jours constater.

Un monde plus sobre ne remet pas en cause le capitalisme ! D'ailleurs, le capitalisme n'existe réellement que dans sa définition la plus simple : le respect de la propriété privée et les moyens de production privés (mais pas forcément de façon exclusive d'ailleurs). Pour le reste, le capitalisme évolue à travers les époques.

Dans une économie de la décroissance, une société comme Carrefour ou l'Oréal, dont les business model sont basés sur la consommation de masse, ne sont pas l'avenir. Ils sont le passé du futur monde. L'adaptation sera difficile. Elle signifie pour la majorité des entreprises la disparition, ou en tout cas une forte décroissance, des flux financiers captés. C'est pour cela que personne ne veut en entendre parler. Alors nous ne le ferons pas et pourtant nous y viendrons, nous n'aurons tout simplement pas le choix.

La refonte du système monétaire.

Après une débâcle monétaire suite à l'explosion de la bulle mondiale d'endettement, il faut être capable de redonner confiance aux acteurs dans une nouvelle monnaie. De tout temps, ou pour être plus précis depuis la nuit des temps, la monnaie est l'or.

Pour beaucoup, le retour à l'étalon-or est illusoire, parce que la quantité limitée d'or ne permet pas de « financer » la croissance.

Or nous rentrons dans l'ère de la rareté et de la décroissance. Dans un tel contexte, c'est la décroissance de la masse monétaire qu'il faut gérer. Pas son expansion. Dans le monde à venir, l'or, les lingots, et les pièces d'or seront incontournables.

Après de grandes tribulations, il faut une grande stabilité. L'or apportera cette assurance. L'or pourra rassurer.

Alors, les solutions existent. Je les ai brièvement esquissées dans ces quelques lignes. Elles ne sont pas exhaustives et pourraient faire l'objet d'un texte infiniment plus long et plus détaillé. L'essentiel n'est pas la lettre mais l'esprit.

Nous assistons à la fin d'un monde mais pas à la fin du monde. Nous aurons autre chose à reconstruire. C'est un défi passionnant. Rien n'est écrit. L'homme est capable du meilleur comme du pire. Je veux espérer qu'un monde plus efficient, plus raisonnable sortira de tout ça. Mais nous n'y sommes pas encore. Si certains d'entre nous ont conscience du monde qu'il faudrait bâtir, personne ne prendra la responsabilité du début des travaux. C'est pour cela qu'il faut que le monde d'aujourd'hui disparaisse pour que l'on puisse ensuite édifier celui de demain.

C'est ce qu'un illustre économiste a nommé la destruction-créatrice. Hélas, pour beaucoup, la phase de destruction est douloureuse.

La décroissance n'est pas une punition, elle est la solution, nous ne le ferons pas et pourtant nous y viendrons.

lundi 8 octobre 2012

Pourquoi il n'y aura pas d'élection présidentielle en 2017

Pourquoi il n'y aura pas d'élection présidentielle en 2017

L'effondrement de notre société, doublé d'une crise politique majeure, nous guette. L'élection présidentielle de 2017 est-elle menacée ? 
Chaos Publié le 2 octobre 2012

 
L'élection présidentielle de 2017 aura-t-elle lieu ?
L'élection présidentielle de 2017 aura-t-elle lieu ? Crédit Reuters

L’année 2012, baignée de la peur inconsciente de l’apocalypse du calendrier maya, a le parfum des terreurs de l’an mil, avec son cortège de catastrophes naturelles, d’émeutes et de dislocations géopolitiques. Dans cette ambiance millénariste, les guerres de position des leaders de la droite en vue de l'élection présidentielle de 2017 ont quelque chose de surréaliste, en miroir des gesticulations gouvernementales, aussi spectaculaires qu’impuissantes face au chaos des évènements.

Car il faut bien se rendre à l’évidence : il est hautement probable que ces élections n’aient tout simplement pas lieu. Point n’est besoin de faire montre d’un catastrophisme dramatisé pour se rendre compte que nous approchons à grands pas du dénouement final de la crise, celle qui a commencé en 1973 avec le premier choc pétrolier, et qui ne touche pas seulement notre économie mais la plupart des piliers de notre civilisation.
Pourquoi 1973 ? Parce que, depuis 1974, aucun budget n’a été voté en équilibre par le Parlement. 

Autrement dit, c’est depuis 1974 que la génération 68, toujours au pouvoir, non seulement s’est endettée sur ses enfants et petits-enfants pour maintenir le capricieux niveau de vie auquel elle a exigé avoir droit, mais a prolongé la fausse abondance de la société de consommation grâce aux importations de produits à bas coût venus d’Asie. Quitte à fermer les usines européennes qui produisaient ces mêmes produits, pour rester compétitifs sur les marchés des émergents qui nous vendent aujourd’hui des produits concurrents, et pas seulement sur le créneau manufacturier, mais aussi sur celui des produits et services à haute valeur ajoutée. Quitte à allonger la durée des études pour masquer la hausse du chômage et le tarissement de nombreuses filières, sans parler de l’embauche massive de fonctionnaires. Quitte à continuer d’accueillir à bras ouverts une immigration majoritairement sous-qualifiée, bien au-delà de nos capacités d’accueil et d’intégration, prolétariat de substitution pour la gauche et nouvelle armée industrielle de réserve pour le capital, selon la formule marxiste, juste en l’espèce. Et quitte, enfin, à encourager la destruction écologique planétaire engendrée par nos modes de vie.

Tout a un prix, et celui du consumérisme européen, qui nous appauvrit, se paye par un déclassement durable : selon un rapport[1], les pays membres de l’OCDE, qui réunit une trentaine d’Etats parmi les plus riches de la planète et qui représentaient seulement 51% du PIB mondial en 2010 (contre 60% en 2000), devraient devenir minoritaire, à 43%, à l’horizon 2030. En fait, nous transférons notre appareil productif vers le reste du monde, sous les chaleureux applaudissements d’une Union européenne obsédée par le dogme libre-échangiste et le sauvetage de l’euro, dont on ne voit pas en quoi il pourrait nous préserver de  la déroute économique.

La question qui se pose aujourd’hui est pourtant simple : lorsque nous n’aurons même plus de quoi acheter les produits de nos « partenaires commerciaux », que feront-ils de nous ? Ils commenceront par acheter ce qui reste, comme le font déjà le Qatar et la Chine, qui nous traitent comme un pays du tiers-monde, avant probablement de nous brader au plus offrant. Et nous, Européens, retournerons à l’usine pour confectionner les petits jouets des enfants chinois. Pendant ce temps-là, dans nos banlieues, les policiers se font tirer dessus avec des « mortiers »[2], des fusils de chasse et des kalachnikovs… tandis que nos dirigeants semblent n’avoir pour seul programme que d’accélérer la destruction de la seule institution qui tenait encore bon : la famille.

Bref, en 2017, il serait extraordinaire qu’un effondrement de notre société, doublé d’une crise politique majeure, ne se soient pas produits. « Ca va péter », entend-on un peu partout. Et cette fois-ci peut-être, pour de bon.

[1] Le basculement de la richesse, rapport de l’OCDE du 16 juin 2010.
[2] « La guerre d’Amiens a bien eu lieu », Gilles Gaetner, Valeurs actuelles du 20/09/2012.

lundi 1 octobre 2012

Monsieur mon Député, dites à François Hollande…

Monsieur mon Député, dites à François Hollande…

Publié par   : Olivier le  : 30 Septembre 2012
Monsieur mon Député,
 
Ce blog était fermé depuis 2010 mais je ne peux, aujourd’hui, faire autrement que vous écrire ici.

Monsieur mon député, je suis entrepreneur dans votre circonscription.
D’ailleurs vous me connaissez sans doute puisque je suis un entrepreneur qui crée des emplois (une quarantaine ces dernières années), qui paye des taxes, qui génère de la TVA, qui fait la promotion de son territoire… bref je crois être l’un de vos électeurs qui crée de la valeur.
Et aussi, en tout cas je l’espère, un petit peu de bien-être et pourquoi pas de bonheur pour quelques familles.
Il y a un peu plus de 2 ans, dans une tribune tenue dans Le Monde, Eric Schmidt, le “boss” de Google, citait notre entreprise auvergnate comme un exemple de (micro) réussite et affirmait que la France pouvait être fière de nous. Sans aucun doute très exagéré !
Il y a un peu plus de 18 mois, j’interrogeais en direct en chat video Nicolas Sarkozy sur les leviers possibles pour ne pas couper les ailes de l’économie numérique en France. Il avait (à mon sens) répondu à côté.
Monsieur mon député, je suis un entrepreneur comme des centaines de milliers d’autres mais qui, après plus de 10 années, dont plusieurs auraient pu être la dernière, a la chance d’avoir réussi son premier pari : assurer (enfin) la rentabilité de son entreprise et de fait un avenir moins incertain aux salariés qui la font avancer avec lui.
Un entrepreneur dont on dit qu’il “a réussi”. La bonne blague !
Ce que nous avons fait, ça n’est rien par rapport à ce que nous allons faire !
Parce que notre entreprise connait toujours une forte croissance.
Parce que nous avons envie de “tout casser”, d’attaquer l’international, d’exporter, de recruter, de former, de recruter encore…
Notre projet c’est de multiplier par 10, par 20 par 1000… notre chiffre d’affaires dans les années qui viennent !
Avec ces premiers succès, j’ai déjà oublié les années de galère.
J’ai déjà oublié mon banquier m’expliquant qu’il me refusait un prêt parce que en 2002 j’étais fou de croire au potentiel de la vente sur internet.
J’ai déjà oublié les nuits sans sommeil à me demander comment j’allais “payer les gars” à la fin du mois.
J’ai déjà oublié que je ne savais pas ce que je ferais si ma maison, pas encore payée et déjà en caution pour le prêt de l’entreprise et son autorisation de découvert était mangée par la banque.
J’ai déjà oublié le cauchemar des huissiers envoyés par le RSI pour récupérer des cotisations indues rendues plus tard.
J’ai déjà oublié que mes parents ont vendu un terrain pour me permettre d’alimenter le compte courant à un moment où “ça brulait”.
J’ai oublié je vous dis !
J’avais oublié…
Je m’en suis souvenu, il y a peu, en lisant la tribune de Patrick Robin, entrepreneur lui aussi, dans laquelle, comme des milliers et des milliers d’entrepreneurs je me suis reconnu. Je vous invite à la lire monsieur mon député.
Monsieur mon député, il faut aussi que je vous dise :
Si mon entreprise s’est développée, a avancé et a créé des emplois et va en créer d’autres, c’est aussi parce que des “capitaux risqueurs” ont pris “le risque de risquer” en investissant dans notre entreprise.
Sans eux, sans ces investissements, nous ne serions sans doute plus là.
Ils sont restés 4 ans et seraient d’ailleurs bien restés pour nous accompagner encore…
Nous avons fin 2010, fait le choix de la cession partielle à un groupe dont les valeurs, le dynamisme et la solidité assurent le maintien de l’entreprise en Auvergne (et donc en France) sur le long terme.  Nos investisseurs d’alors ont fait à cette occasion une jolie plus-value. Je me souviens que pour certains, en cette fin 2010, elle était la bienvenue pour boucher quelques pertes subies dans des investissements moins heureux….
Quand on risque, on perd plus souvent qu’on ne gagne. Et quand on gagne… On peut prendre de nouveaux risques !
C’est ce qui fait tourner la machine
Monsieur mon député, Il y a quelques mois, j’ai voté pour François Hollande.
Parce que, venant d’une famille de gauche, je suis de la “Génération Mitterand”. Celle qui a cru un soir de mai 1981 que le monde allait changer d’un coup. Celle qui ne peut se résoudre à ne plus y croire encore.
J’ai voté François Hollande parce que même si, souvent, j’ai trouvé Nicolas Sarkozy courageux, je suis resté coincé sur le “casse-toi pauv’ con” et quelques autres symboles maladroits et détestables.
Et puis… on ne se refait pas…
Bref, j’ai voté François Hollande parce que j’ai toujours, aussi loin que m’en souvienne voté à gauche, et que je croyais dur comme fer au bon sens et au calme.
Parce que je pensais qu’enfin, on allait se soucier des entrepreneurs et pas des grands patrons.
Et puis on m’a appelé à ne pas me comporter en rentier
On m’a quasiment traité de voyou
On m’a confondu avec les patrons du CAC 40…
On m’a expliqué que ce qu’on prendrait à mon entreprise on le donnerait aux ménages
Je me suis dit : “j’hallucine, mais ils vont rectifier…”
Depuis des mois je suis démarché comme des centaines de milliers d’autres entrepreneurs par “des amis européens” qui m’incitent à m’installer chez eux. On en a parlé avec d’autres entrepreneurs et on s’est dit : “mais ça va pas la tête ?”
J’ai payé mes impôts… Beaucoup cette année, mais ça n’est pas anormal !
Je l’ai fait avec un pincement au coeur mais aussi avec une fierté certaine !
J’ai expliqué récemment à nos collaborateurs que ce qu’ils perdent sur leur fiche de paye avec la refiscalisation des heures sup’ (4H/semaine et par personne chez nous puisqu’on est aux 39H…) c’était leur contribution à “l’effort de guerre” du pays.
J’ai refusé ne serait-ce que 1% d’augmentation depuis fin 2010. Je gagne ma vie plus que correctement et, ne le répétez pas à mes actionnaires, je serais capable de travailler pour rien tellement j’aime ma boite.
D’ailleurs je l’ai fait pendant plusieurs années !
Comme des centaines de milliers d’autres entrepreneurs qui considèrent que ce qu’ils ont fait ils l’ont fait aussi parce que leur pays l’a permis.
Monsieur mon député, je dois vous dire que depuis hier matin j’ai la gueule de bois et j’ai un peu honte aussi.
Honte d’avoir convaincu ou tenté de convaincre d’autres entrepreneurs au printemps dernier.
Depuis hier matin j’ai peur aussi pour nos entreprises et l’économie de mon pays.
Les coups portés à l’entrepreneuriat dans le Projet de Loi de Finances 2013 seront, en l’état, fatals.
Qui va être assez riche et assez fou pour investir un sou dans une entreprise française désormais ?
Qui va être assez riche et assez fou pour donner à une start-up française les moyens de ses ambitions ?
Je ne rentrerai pas dans les détails, les calculs… d’autres l’ont fait beaucoup mieux que moi ces dernières heures.
Le traitement envisagé pour l’imposition des plus-values de cession est absurde, inadapté, inepte, mortifère…
Il constitue un ultime signal de l’ignorance crasse de la réalité du monde de l’entreprise dont notre classe politique fait la preuve à chaque fois qu’elle s’en mêle, et du mépris dans lequel elle tient les créateurs de croissance et de valeur que nous voulons être.
Celui qui a pondu cette brillante idée a inventé rien moins que la nationalisation des succès.
Pile je gagne face tu perds !
Comment se reconnaitre dans un pays qui limite la prise de risque, créatrice emplois, pour inciter au placement dans une toile de maître ?
Comment se motiver pour avancer quand tout va mal et qu’on n’a même plus le rêve comme béquille ?
On nous dit qu’il y aura des exceptions, des aménagements… La belle affaire !
Quand la justice devient une exception l’espoir devient maigre.
Monsieur mon député, je ne crois pas (encore) que ce gouvernement ait pris la pleine mesure des conséquences de ce projet.
Monsieur mon député, depuis quelques heures un mouvement volatile, à mi-chemin entre le “sauve qui peut” et le “ils vont voir ce qu’ils vont voir” se développe sur les réseaux sociaux…
Spontané ? Manipulé ? Je n’en sais fichtre rien et peu importe après tout…
Un appel à manifester a même vu le jour… Un comble pour des entrepreneurs !
La preuve tout simplement que le désarroi a pris la main.
Même si je comprends et je sympathise, je n’en serai pas !
Manifester, c’est un métier et je considère que ça n’est pas le mien.
En plus, le week-end prochain, je travaille, comme la plupart des week-ends.
C’est pour cette raison que j’ai préféré vous écrire ce (trop long) mot.
Je vous invite à venir rencontrer notre entreprise, votre prédécesseur l’a fait à plusieurs reprises
Tout comme le Président de notre Région, notre Préfet, notre Maire, notre président de Conseil général… qui à chaque fois constatent notre enthousiasme et celui de nos collaborateurs !
Monsieur mon député, dites à François Hollande que les entrepreneurs ont besoin de reconnaissance, de temps en temps, autrement qu’avec des mots polis.
Monsieur mon député, vous allez avoir à vous prononcer sur ce projet de Loi de Finances.

Amendez ce projet !

Les cinq facteurs décisifs de l'effondrement des sociétés humaines

Diamond a dégagé de ses études des « collapsus » (du latin lapsus, « la chute ») « cinq facteurs décisifs », qu’il dit retrouver dans chaque effondrement, et parle d’un« processus d’autodestruction la plupart du temps inconscient ». Quels sont ces facteurs ? Un : les hommes infligent des dommages irréparables à leur environnement, épuisant des ressources essentielles à leur survie. Deux : un changement climatique perturbe l’équilibre écologique, qu’il soit d’origine naturelle ou issu des suites des activités humaines (sécheresse, désertification). Trois : la pression militaire et économique de voisins hostiles s’accentue du fait de l’affaiblissement du pays. Quatre : l’alliance diplomatique et commerciale avec des alliés pourvoyant des biens nécessaires et un soutien militaire se désagrège. Cinq : les gouvernements et les élites n’ont pas les moyens intellectuels d’expertiser l’effondrement en cours, ou bien l’aggravent par des comportements de caste, continuant à protéger leurs privilèges à court terme.

L'homme, cet animal suicidaire peint par Jared Diamond

L'homme, cet animal suicidaire peint par Jared Diamond

LE MONDE CULTURE ET IDEES | 27.09.2012
Par Frédéric Joignot

Vue du delta du Mississippi, prise depuis un satellite de la NASA, les traînées claires montrent le pétrole échappé en avril 2010 de la plate-forme de forage Deepwater Horizon de BP. La végétation est en rouge.

Il habite à Bel Air, quartier très chic aux jardins luxuriants de Los Angeles, dans une grande maison de bois pleine de gravures animalières. Avec son imposant collier de barbe, ses 74 ans, il fait penser à un vieux prêcheur amish. L'homme en impose. Il faut dire que ce professeur de géographie de l'UCLA, la vénérable université de la "cité des anges", biologiste évolutionniste réputé, fait à nouveau parler de lui après l'échec du Sommet de la Terre, cet été à Rio, où aucune mesure n'a été prise pour rendre notre planète plus durable.
Depuis, beaucoup se demandent si Jared Diamond n'a pas raison. Si l'humanité ne court pas au désastre écologique, danger contre lequel il nous a mis en garde dans son essai Effondrement (2005). Dans ce best-seller mondial, âprement discuté par l'élite scientifique, il montre comment, à plusieurs reprises, les destructions de notre environnement ont contribué à l'écroulement de sociétés. L'auteur va même jusqu'à parler d'"écocide" : le génocide écologique. Si certains critiquent son catastrophisme, Diamond donne des conférences dans le monde entier, appelant l'humanité à se ressaisir.

DURABILITÉ ET AUTODESTRUCTION

Le sommet de Rio a montré qu'avec la crise économique les exigences écologiques passent au second plan. On vient pourtant d'apprendre – un exemple parmi d'autres – que la banquise arctique risque de fondre avant 2020, que les glaciers du Groenland sont menacés, ce qui va accélérer encore le réchauffement et bouleverser la circulation des eaux océaniques. Sommes-nous entrés dans un des scénarios tragiques décrits par Jared Diamond dans Effondrement ? Il nous répond : "L'humanité est engagée dans une course entre deux attelages. L'attelage de la durabilité et celui de l'autodestruction. Aujourd'hui, les chevaux courent à peu près à la même vitesse, et personne ne sait qui va l'emporter. Mais nous saurons bien avant 2061, quand mes enfants auront atteint mon âge, qui est le gagnant."
Si Jared Diamond est tellement écouté, discuté et contesté, c'est parce qu'il a bouleversé le récit classique de l'histoire, à travers trois ouvrages colossaux dans lesquels il décrit en détail les rapports conflictuels qu'entretient l'humanité avec la nature depuis 13 000 ans. Avant Effondrement, il y a eu Le troisième chimpanzé (1992), qui décrit les premiers méfaits d'homo sapiens sur la nature et nous imagine un avenir difficile, et De l'inégalité parmi les sociétés (1998), qui montre comment la géographie favorise ou pénalise le développement de civilisations – cette somme lui a valu le prix Pulitzer.
Avec Diamond, il devient impossible de séparer l'aventure humaine de la géographie, de comprendre le développement et le déclin des sociétés sans tenir compte des ressources naturelles des pays, de leur exploitation et de leur dégradation. Ecoutons-le : "On ne peut s'imaginer pourquoi ce ne sont pas les Indiens d'Amérique du Nord qui ont conquis l'Europe avec des caravelles portant mousquets et canons ou pourquoi les Aborigènes australiens n'ont pas dominé l'Asie sans comparer les richesses agricoles de ces régions, les animaux qui y vivent, la lenteur avec laquelle s'est implantée l'agriculture, puis la pensée technicienne et la gestion des ressources."

L'EXEMPLE DU CROISSANT FERTILE

Jared Diamond se penche aussi sur le berceau de notre civilisation, ce fameux Croissant fertile (Iran, Irak, Syrie, Liban, Jordanie, etc.) où est apparue pour la première fois une société agricole, sédentaire, artisanale, outillée, bientôt urbaine. Pour lui, ce miracle a été possible pour trois raisons : "Le blé, l'orge, les pois chiches, les lentilles, le lin y poussaient à l'état sauvage, qui ont pu être cultivés, emmagasinés, et filés pour le lin. Cinq espèces d'animaux essentiels à l'alimentation, au transport et aux travaux agricoles vivaient là – les chiens, les moutons, les porcs, les bovins, le cheval. Enfin, de grands fleuves et la Méditerranée ont permis que leurs savoirs soient diffusés et perfectionnés." Diamond compare ensuite le croissant fertile avec l'Australie de la même époque : on n'y trouve aucun mammifère domesticable et juste une noix cultivable.
Le biologiste entend réfuter toute explication des inégalités humaines fondée sur une disparité génétique ou raciale au sein des populations. Pour lui, rejoignant les études de l'historien Fernand Braudel, seule la biogéographie et l'écologie scientifique permettent de comprendre les énormes différences dans la croissance des sociétés. Leur déclin aussi... Le Croissant fertile s'est dégradé quand l'homme a commencé à le déboiser pour construire des flottes de guerre, amenant une désertification irrémédiable.
Pour étayer ses analyses, Jared Diamond tient compte des mesures collectées par la paléoécologie (études des biotopes passés), la palynologie (collecte des pollens anciens), la dendrochronologie (datation par le bois), la stratigraphie, la paléoclimatologie, la géochimie et la paléogénétique afin d'étudier les rapports des populations à leurs terres, de comprendre si les cultures furent trop intensives ou durables. Il convoque aussi l'anthropologie médico-légale pour décrire quel était l'état de santé des gens riches et des pauvres, l'âge moyen, le travail des femmes, etc.
Il n'y a que lui pour vous expliquer que l'agriculture, dès son apparition, n'a pas eu que des conséquences favorables : "Des études paléo-alimentaires montrent que les chasseurs-cueilleurs d'avant l'agriculture étaient en meilleure santé et mieux nourris que les cultivateurs. Leur régime était plus varié en protéines et en vitamines, ils disposaient de plus de temps libre et ils dormaient beaucoup." Du reste, les populations se méfiaient de l'agriculture. Elle n'a été que lentement adoptée en Europe (un kilomètre par an) comme aux Etats-Unis (les Amérindiens de Californie s'y refusèrent jusqu'au XIXe siècle). Elle est synonyme, dès le début, de mauvaise nutrition, d'épidémies et de maladies parasitaires, du fait de la promiscuité et des eaux rejetées.
Ajoutons que l'agriculture a fait naître une stratification sociale entre la masse des paysans en mauvaise santé, où les femmes s'épuisent à enfanter et besogner (les lésions sur les squelettes et les momies l'attestent), et une élite peu productive qui gouverne (fonctionnaires, commerçants, princes, prêtres, chefs de guerre). Diamond commente : "Cette division perdure entre une élite mondiale en bonne santé, mangeant de la viande, profitant des ressources pétrolières et des terres des pays du Sud, et des paysans pauvres dont ils ont bien souvent détruit l'agriculture vivrière." Cette situation, note-t-il, se perpétue dans les pays du Sud, créant une insécurité alimentaire. Résultat : "Plus d'un milliard d'habitants vivent sous le seuil d'extrême pauvreté."

DES DIZAINES DE GÉNOCIDES

Pour l'Américain J. R. McNeill, de l'université de Georgetown, comme pour d'autres historiens, Diamond a bousculé les frontières de la discipline historique en l'associant au champ des sciences naturelles. L'intéressé confirme : "Je rapproche des sociétés passées et présentes en observant leur croissance comme leur fragilité et je m'intéresse à toutes les variables mesurables qui y contribuent. Je suis un historien comparatif sur le long terme."
Son constat fait peur : depuis l'âge de pierre, l'humanité n'a cessé de détruire d'autres espèces, dévastant peu à peu toute la biodiversité. Jared Diamond admire l'homme pour son génie inventif, mais il le voit aussi en massacreur : "Quand les hommes franchissent le détroit de Béring, 12 000 ans avant J. -C., et gagnent l'Amérique du Nord, ils se livrent à un carnage inouï. En quelques siècles, ils exterminent les tigres à dents de sabre, les lions, les élans-stags, les ours géants, les bœufs musqués, les mammouths, les mastodontes, les paresseux géants, les glyptodontes (des tatous d'une tonne), les castors colossaux, les chameaux, les grands chevaux, d'immenses troupeaux de bisons." Des animaux qui ont survécu à trois glaciations périssent : 73 % des grands mammifères d'Amérique du Nord, 85 % de ceux d'Amérique du Sud. "Ce fut la disparition animale la plus massive depuis celle des dinosaures, continue Jared Diamond. Ces bêtes n'avaient aucune expérience de la férocité d'homo sapiens. Ce fut leur malheur. Depuis, nous avons encore fait disparaître d'innombrables espèces."
Tuer en série, de façon concertée, les loups et les grands singes le font. Mais l'homme massacre dans des proportions inégalées. A toutes les époques, souvent pour des questions de territoire, mais aussi ethniques (racisme) et psychologiques (désignation d'un bouc émissaire, infériorisation de l'autre), l'homme a cherché à anéantir ses rivaux et les minorités. Des dizaines de génocides, combinant traques, massacres, épidémies, à plus ou moins grande échelle, ont eu lieu de tout temps, partout.
Si le génocide des juifs et des Tziganes reste dans les mémoires, n'oublions pas, précise-t-il, qu'il nous a peu appris : "On décompte depuis 1950 vingt épisodes de génocides, dont deux ont concerné plus d'un million de victimes [Bangladesh et Cambodge dans les années 1970], et quatre plus de 200 000 [Soudan et Indonésie dans les années 1960, Burundi et Ouganda dans les années 1970]. Le génocide fait partie de notre héritage pré-humain et humain."

LE DÉCLIN DES MAYAS
Jared Diamond s'est aussi intéressé aux civilisations qui se sont écroulées, se demandant si la nôtre est menacée. Aussi, les pages d'Effondrement qui résonnent le plus avec les inquiétudes d'aujourd'hui sont celles qui traitent des civilisations disparues, où la destruction de l'environnement a beaucoup compté : celle de l'île de Pâques, des îles d'Henderson et de Pitcairn, celle des Amérindiens Anasazi du sud-ouest des Etats-Unis, des Vikings du Grand Nord.
Et surtout l'empire des Mayas. Diamond montre comment ces derniers ont coupé les arbres jusqu'au sommet des collines afin de fabriquer du plâtre, tout en pratiquant la culture intensive du maïs. Il nous raconte la suite : "Cette déforestation a libéré les terres acides qui ont ensuite contaminé les vallées fertiles, tout en affectant le régime des pluies. Finalement, entre 790 et 910, la civilisation maya du Guatemala, qui connaissait l'écriture, l'irrigation, l'astronomie, construisait des villes pavées et des temples monumentaux, avec sa capitale, Tikal, de 60 000 habitants, disparaît. Ce sont 5 millions d'habitants affamés qui quittent les plaines du Sud, abandonnant cités, villages et maisons. Ils fuient vers le Yucatan, ou s'entre-tuent sur place."
Diamond a dégagé de ses études des "collapsus" (du latin lapsus, "la chute") "cinq facteurs décisifs", qu'il dit retrouver dans chaque effondrement, et parle d'un "processus d'autodestruction la plupart du temps inconscient". Quels sont ces facteurs ? Un : les hommes infligent des dommages irréparables à leur environnement, épuisant des ressources essentielles à leur survie. Deux : un changement climatique perturbe l'équilibre écologique, qu'il soit d'origine naturelle ou issu des suites des activités humaines (sécheresse, désertification). Trois : la pression militaire et économique de voisins hostiles s'accentue du fait de l'affaiblissement du pays. Quatre : l'alliance diplomatique et commerciale avec des alliés pourvoyant des biens nécessaires et un soutien militaire se désagrège. Cinq : les gouvernements et les élites n'ont pas les moyens intellectuels d'expertiser l'effondrement en cours, ou bien l'aggravent par des comportements de caste, continuant à protéger leurs privilèges à court terme.
Jared Diamond a appliqué cette grille à notre époque. "On retrouve les cinq facteurs dans les désastres du Rwanda, de l'Afghanistan, en Somalie, en Afrique subsaharienne, dans les îles Salomon et en Haïti." Il repère encore le "facteur un" (dommages majeurs causés à l'environnement) associé au "facteur deux" (réchauffement climatique d'origine humaine) en Chine, en Russie et en Australie. Il déplore aussi la dégradation écologique du Montana, hier l'Etat le plus boisé des Etats-Unis, dont les neiges éternelles fondent.
Il dresse une longue liste des dommages écologiques qui menacent à court terme la biosphère : la crise de l'eau potable, qui concerne un milliard de personnes, tandis que les nappes phréatiques baissent ; la destruction des marais, des mangroves, des récifs de corail, des pépinières naturelles ; la disparition massive des grosses espèces de poissons marins, la dévastation des fonds des océans ; la désertification des sols et le recul des dernières grandes forêts dans les zones tropicales ; le massacre du fait des défoliants de quantité d'espèces utiles comme les insectes pollinisateurs, les bactéries des sols, les vers de terre, les oiseaux : "C'est comme si on retirait au hasard des petits rivets dans l'assemblage d'un avion", commente-t-il. Enfin, l'incertitude sur l'amplitude du réchauffement terrestre l'inquiète beaucoup : "Nous ne savons rien d'éventuels nouveaux changements climatiques consécutifs à la modification de la circulation océanique comme à la fonte de la couverture glaciaire."
Greenpeace construit un cœur avec les 193 drapeaux des membres de l'ONU sur la banquise de l'Arctique, le 14 septembre 2012.
Il rejoint ici les peurs des glaciologues et des climatologues à la suite de la disparition rapide de la banquise arctique, constatée fin août par la NASA. Elle a été réduite de moitié en trente ans. Tous se demandent quelles vont être les répercussions sur le climat. Beaucoup annoncent déjà un accroissement de chaleur et d'humidité, des variations plus fortes des températures, voire des extrêmes inconnus. Sans pouvoir préciser leur impact. Des chercheurs parlent d'une rapide "modification du système des tempêtes dans l'hémisphère Nord". D'autres redoutent un "effet domino" incontrôlable : le rôle de miroir solaire des glaces s'atténuant, le rayonnement va s'aggraver, les glaces vont fondre partout, le Groënland sera touché à court terme, ce qui va accélérer la montée des eaux tout en libérant d'énormes quantités de méthane, gaz à effet de serre puissant. Selon Peter Wadhams, un des spécialistes de l'océan polaire, "il ne sera plus possible de faire quoi que ce soit d'ici dix ans".
Aux Etats-Unis, William Rees, professeur d'écologie à l'université Columbia, a présenté Effondrement comme "un antidote nécessaire" aux écosceptiques. Les climatologues et les chercheurs pour qui nous sommes entrés dans l'"anthropocène" - l'ère où les activités humaines constituent une puissante et dangereuse force géologique et climatique - voient en lui un allié. Quant aux écologistes politiques, ils l'associent au philosophe allemand Hans Jonas, qui, dans Le Principe responsabilité (1979), a mis en garde l'humanité contre "l'irréversibilité" et "l'interdépendance" des atteintes faites à l'environnement.
Les opposants à Diamond ne manquent pas. Des historiens lui reprochent son catastrophisme, d'autres d'accorder trop d'importance aux impacts écologiques, d'autres encore de négliger les causes sociales, politiques, bureaucratiques et religieuses des déclins des sociétés. Beaucoup préfèrent s'en tenir aux analyses faites par l'Anglais Arnold Toynbee dans A Study of History (1934-1961), pour qui "les civilisations meurent de suicide, pas d'assassinat", du fait de la dégénérescence d'élites profitant de "privilèges héréditaires qu'elles ont cessé de mériter", devenant incapables de s'adapter aux menaces nouvelles.

INNOVER FACE AUX DANGERS

Face au désastre annoncé, certains opposent les travaux de l'archéologue Joseph Tainter dans The Collapse of Complex Societies (1990), où il affirme que les sociétés élaborées ont su gérer "l'adversité environnementale" grâce à leur "administration centralisée". Ce dernier ne peut croire à "l'idiotie des élites face au désastre". Un groupe d'anthropologues américains a publié en 2009 Questioning Collapse, où ils recensent nombre d'erreurs et d'exagérations faites par Diamond dans sa présentation du déclin des Mayas, mais, surtout, où ils défendent la capacité de résilience des sociétés menacées. C'est là un argument récurrent des opposants aux thèses d'Effondrement : l'ouvrage oublie le principe d'espérance, sous-estime le génie humain et sa propension à réagir, à avoir un sursaut, à innover face aux dangers.
Ces critiques sur son pessimisme, Jared Diamond les écarte : "On oublie le sous-titre de mon livre : 'Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie'. Nous avons encore le choix... Dans Effondrement, je décris plusieurs sociétés qui ont su déjouer les drames environnementaux, comme les Japonais sauvant leurs forêts à l'époque d'Edo et les Néerlandais avec leurs polders. D'où ma métaphore : 'Nous devons penser la planète comme un polder.'"
Quant aux arguments de Tainter sur le sursaut des élites, Jared Diamond aimerait y croire. Mais il reproche à cet historien de ne pas voir "l'aveuglement des chefferies", qui mènent une vie protégée, comme la classe riche d'Haïti perchée sur la colline de Piétonville, au-dessus de Port-au-Prince dévasté. Et quand on lui reproche de donner trop d'importance à la géographie et à l'écologie, Diamond a cette formule : "Allez vous promener nu au pôle Nord ou sous un soleil brûlant, ou encore faites-y pousser du blé, et ensuite revenez me parler du faible rôle du climat sur l'Histoire et l'esprit humain."

Frédéric Joignot

Le douloureux "facteur 32"
Certains critiques reprochent à Jared Diamond d'exagérer les risques de surpopulation, les dramatisant à l'excès, d'incarner ce mépris occidental pour les habitants des pays du Sud qui entendent consommer comme nous, et de ne pas s'intéresser aux solutions concrètes que ces pays du Sud pourraient inventer. "La population n'est pas le problème, mais ce qu'elle consomme et dégrade, oui, répond Jared Diamond. Si les hommes vivaient dans une chambre froide, nous n'aurions aucun problème de ressource."

Il fait cette comparaison : "Le Kenya a une population qui croît de plus de 4 % par an. C'est un problème pour les 30 millions d'habitants de ce pays qui souffrent de malnutrition, mais pas un fardeau pour le reste du monde, car les Kenyans consomment peu. Le problème, ce sont les 300 millions d'Américains qui, chacun, consomment autant que 32 Kenyans. Ils font payer l'addition à tout le monde : émissions, réchauffement, déforestation, élevage de masse."

Jared Diamond parle d'un "facteur 32" qui fait mal à la planète. "La consommation moyenne par habitant de ressources comme le pétrole et les métaux, ou la production moyenne de déchets, comme le plastique ou les gaz à effet de serre, sont en moyenne 32 fois supérieures dans les pays développés." Il en tire des conclusions alarmistes. "Les taux de consommation en Chine sont onze fois inférieurs aux taux américains. Mais si demain toute la Chine rattrapait le niveau de vie des Américains, la consommation mondiale de pétrole augmenterait de 106 % et celle des métaux de 94 %. Si l'Inde suivait, elles tripleraient. Tout comme les émissions de gaz à effet de serre et les pollutions de toutes sortes."

Et si du fait de l'essor de la Chine, de l'Inde et d'autres pays, la consommation mondiale augmentait onze fois, cela équivaudrait, conclut Jared Diamond, à l'équivalent d'une population mondiale de 72 milliards d'habitants. "Les optimistes pensent que nous pourrions vivre à 9,5 milliards sur Terre, mais le pourrions-nous à 72 milliards ? Non, les ressources terrestres n'y suffiraient pas..."
A lire
  • De l'inégalité parmi  les sociétés. Essai sur l'homme et l'environnement dans l'histoire, de Jared Diamond (Gallimard, 2000, rééd. 2007).
  • Le troisième chimpanzé. Essai sur l'évolution et l'avenir de l'animal humain, de Jared Diamond (Gallimard, 2000).
  • Voyage dans l'anthropocène, cette nouvelle ère dont nous sommes les héros, de Claude Lorius (Actes-sud, 2011).
  • Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, de Hans Jonas (ed. du cerf, 1990).