Allons-nous vers une nouvelle "crise de 29" ?
C’est malheureusement très probable ! Pourtant, ce n’est pas ce que nous disent les marchés financiers. Cet été, ils viennent même de connaître une envolée spectaculaire (+ 15%)
C’est malheureusement très probable ! Pourtant, ce n’est pas ce que
nous disent les marchés financiers. Cet été, ils viennent même de
connaître une envolée spectaculaire (+ 15 % en Europe en moyenne). Cet
épisode haussier a été une nouvelle occasion de vérifier que la
confiance joue un rôle prédominant. C’est toujours étonnant de constater
l’impact qu’ont de simples paroles, dès lors qu’elles sont formulées
par un orateur considéré comme crédible : ici Mario Draghi, le Président
de la BCE. Après sa dernière intervention, on a même pu lire que
"l’Europe était sauvée !" ou encore que "les marchés européens avaient
désormais un boulevard devant eux, car ils devraient rattraper l’avance
prise par les marchés américains qui sont revenus à leur niveau d’avant
2008 alors que le Cac est encore à -40 %".
Pourtant, si l’on examine plus en détail les vraies possibilités
d’intervention de la BCE, on est en droit de penser que l’optimisme des
marchés est largement exagéré. Si l’on s’arrête sur les fondamentaux
économiques, c’est encore plus inquiétant, car on a toutes les raisons
de craindre un retournement des marchés dans les semaines ou les mois à
venir, tant la confiance devrait se retourner sous le poids du principe
de réalité. Certains prix Nobel d’économie comparent même la situation
actuelle à celle du début de "la grande dépression" de 1929.
Les vraies possibilités d’intervention de la BCE sont limitées
Le dernier message de Mario Draghi vient de faire mouche. La banque
centrale assurerait enfin la stabilité du système financier européen en
achetant des dettes d’États de maturité inférieure à 3 ans, sous
certaines conditions certes, mais de façon illimitée. Le marché s’est immédiatement enflammé, enthousiasmé par ce terme "illimité". Trois commentaires s’imposent :
- En premier lieu, il convient de rappeler que l’interventionnisme de
la BCE n’est pas une nouveauté. Depuis 2010, elle a déjà racheté des
dettes de pays en difficulté pour au moins 200 milliards d’euros et
surtout 5 fois plus de créances "douteuses" auprès des banques en
difficulté.
- Par ailleurs, en y regardant de plus près, le caractère illimité de
l’aide potentielle est en fait restreint, dans son montant et du fait
des conditions d’obtention extrêmement dissuasives. En effet, le pays
demandeur d’aide doit, en contrepartie, accepter de perdre sa
souveraineté par son asservissement à un plan de rigueur et à des
contrôles sévères menés par la "Troïka" (le gendarme de l’Europe en la
matière). Cela explique pourquoi il y a si peu de pays candidat pour le
moment.
- Enfin, si l’on se réfère à la décision que vient de prendre la Cour
Constitutionnelle de Karlsruhe, en pratique, la capacité d’intervention
maximale de la BCE serait de l’ordre de 600 milliards (et non
illimitée), montant qui correspond à moins de la moitié de la dette sur 3
ans des seuls PIIGS.
La limitation de l’aide est encore plus flagrante si l’on prend
l’exemple de la dette grecque : sur les 3 ans à venir, elle ne
représente que 14 % de sa dette globale. Par ailleurs, dans quelques
semaines, la Grèce doit rembourser 30 milliards ; elle ne pourra pas le
faire. Le rapport de la "Troïka" faisant état du non-respect du plan de
rigueur de la Grèce, la BCE ne devrait pas pouvoir intervenir. C’est
donc du temps que l’on pourra donner à la Grèce et non de l’argent, car
ni la BCE ni les autres institutions chargées de sauver les banques et
l’Euro n’en ont.
En effet, il est intéressant de noter que la BCE n’est dotée que d’un
capital de 83 Milliards d’euros, soit moins de 10 % de ses créances
dites "difficiles". Or, les traités prévoient que ce sont les États
membres qui doivent recapitaliser la BCE en cas de besoin. Autrement
dit, au bout du chemin, ce seront les contribuables qui paieront.
On comprend ici que la stratégie retenue par la BCE (comme celle de
la FED depuis toujours) permet peut-être de gagner du temps et de faire
plaisir au marché, mais elle ne constitue en aucun cas un traitement de
fond acceptable dans la mesure où elle conduit tout simplement à la
"paupérisation" par la spoliation fiscale. Même les régimes sociaux vont
être impactés. Les réserves financières des Mutuelles diminuent à vue
d’œil en même temps que leur imposition augmente. Dès 2018, l’AGIRC par
exemple, n’aura plus aucune réserve, dans un contexte de vieillissement
de la population et de rallongement de la durée de la vie. Le
"Pôle-emploi" dysfonctionne par manque de moyens alors que 30 % des plus
de 50 ans sont déjà au chômage et que les jeunes ne trouvent pas
d’emploi. La situation est encore pire dans les autres pays du sud de
l’Europe, de même qu’aux États-Unis (où 30 % de la population vit en
dessous du seuil de pauvreté), et où le soir, on ouvre des gymnases pour
servir la soupe populaire. Ce sont des faits : c’est déjà le présent !
La récente hausse des marchés est en totale contradiction avec les réalités économiques
Les marchés montent parce qu’ils sont largement pourvus de liquidités
par les Banques centrales (BCE, FED et maintenant japonaise). Mais
quelle est vraiment la situation économique et financière au regard des
données réelles ? L'Europe est en récession, les zones émergentes
poursuivent leur décélération et les États-Unis commencent à montrer des
signes inquiétants.
Sur le plan financier, si effectivement le risque de l’éclatement de
la zone "Euro" s’éloigne, qu’en est-il du risque d’écroulement du
système financier anglo-saxon, facteur déterminant qui pourrait en cas
de faillite, nous conduire à une situation comparable à celle de la
crise de 1929 ?
- Le cloisonnement entre les banques de crédit et les banques
d’investissements n’est toujours pas fait. L’Angleterre a un endettement
abyssal et la dette fédérale des USA (16 000 milliards de dollars) ne
laisse plus de marge pour sauver les banques.
- La situation politique aux USA est bloquée, avec un État qui veut
continuer à injecter des liquidités et un congrès qui ne veut plus
débloquer de nouveau budget, imposant à terme une politique d’austérité
au pays, avec obligatoirement de fortes coupes dans les dépenses
étatiques. C’est d’ailleurs pourquoi la FED tente de contourner ce
blocage politique en décidant (début septembre) d’injecter jusqu’à 40
milliards de $ par mois afin de racheter des créances immobilières
douteuses.
En fait, c’est un petit QE 3 caché, c’est-à-dire que la politique de
"la planche à billets" continue et met sur le marché de "l’argent
virtuel" puisqu’il est sans contrepartie de richesse produite. En
l’absence de croissance, qui seule donnerait de la valeur à cette masse
monétaire inventée, cette stratégie ne peut que conduire à une forte
dépression des actifs financiers et aussi immobiliers dans lesquels les
banques sont considérablement engagées. Si la FED cherche à gagner du
temps et à faire plaisir au marché, arrivera nécessairement un moment où
il faudra faire le compte des pertes d’actifs, les comptabiliser; ce
moment semble désormais proche.
On peut facilement comprendre qu’après la crise de 2008, il fallait
renflouer les banques, puisque l’on a laissé faire et même favorisé la
"financiarisation" de l’économie durant ces vingt dernières années. En
revanche, ce que l’on peut regretter, c’est la double stratégie utilisée
par la FED (et la BCE dans une moindre mesure), exclusivement tournée
vers l’intérêt des banques au détriment de l’intérêt des peuples :
- Une politique de taux historiquement bas, pour donner accès aux
banques commerciales à de l’argent presque gratuit, leur permettant
ainsi de soigner leur compte de résultats en replaçant ces capitaux à
environ 4 %. Les bénéfices ont été considérables, mais n’ont aucunement
profité aux ménages, ni aux entreprises, bien au contraire.
- Une politique de "planche à billets" pour aider les établissements
financiers directement, ou indirectement en favorisant la hausse des
marchés.
Les résultats de l’économie réelle en souffrent et il est fort
probable que ces soutiens massifs aux banques n’aient servi à rien,
puisque la santé financière de ces dernières ne s’est pas assez
améliorée depuis 2008. Elles ont dilapidé ces soutiens en continuant à
verser des bonus extravagants et des dividendes conséquents. Les
déficits étatiques considérables qui ont été créés pour sauver les
banques n’auront ainsi servi qu’à gagner du temps et devront demain être
payés "in fine" par les contribuables.
Plus grave encore. Comme les banques n’ont pas suffisamment amélioré
leur bilan, il y a une très forte probabilité que certaines d’entre
elles fassent faillite d’ici peu, lorsqu’il faudra comptabiliser les
pertes d’actifs qu’elles portent en elles. La banqueroute de Lehman
brothers nous a récemment rappelé les désastres systémiques que ce type
d’évènement peut créer.
En fait, dès 2008, il aurait certes fallu aider les banques, mais en
les obligeants à restituer les aides perçues. Par exemple, elles
auraient pu émettre des obligations convertibles sur 7 ou dix ans, que
les banques centrales auraient achetées. Il fallait aussi leur interdire
momentanément de distribuer leurs profits pour les conserver en fonds
propre, ce qui non seulement aurait été plus morale, mais aussi plus
efficace pour véritablement les renforcer.
La "zone euro" a gâché une partie de sa force en favorisant les
banques et les marchés financiers, mais c’est surtout les USA (qui ont
été bien plus loin dans cette politique) qui souffriront lorsque le
moment de faire les comptes sera venu. La probabilité que nous ayons
déjà mis un pied dans le début d’une crise de type 1929 est forte. Et
comme à cette époque, c’est d’outre atlantique que pourrait venir
jusqu’à chez nous un nouveau "tsunami financier", si de profondes
réformes de la finance mondiale ne sont pas mises en place très
rapidement, et si l’on avait la chance d’échapper à un conflit au
Moyen-Orient dont le cout accélèrerait les évènements.
Quoi qu'il en soit, tant que les États (par la politique de leur
banque centrale) préfèreront la finance au peuple, nous connaîtrons des
crises du type 1929, avec les conséquences désastreuses qui peuvent s’en
suivre, comme l’histoire nous les a montrées.
Jean-Yves Lefèvre
Chargé de cours à l’Université de Paris Dauphine.