jeudi 30 août 2012

La Suède, l'exemple à suivre

La Suède, l'exemple à suivre
Institut des libertés via ContrePoints, Charles Gave, 29/08/2012
Comment gérer nos États-providence tout en maintenant une bonne compétitivité, c'est-à-dire comment empêcher qu’une croissance incontrôlée du poids de l’État n’étouffe le système productif ? Peut-être en regardant du côté de Stockholm...

Certains crimes se payent comptant. Pour d’autres, la note est présentée au coupable bien des années après, et les crimes économiques rentrent sans conteste dans cette deuxième catégorie. Pour illustrer mon propos, je vais prendre une année clé dans l’Histoire moderne où quatre pays, confrontés au même défi, ont choisi quatre solutions différentes pour y faire face, alors même qu’il n’en existait qu’une seule convenable. Vingt ans après, celui qui a choisi la bonne solution caracole en tête de toutes les statistiques de croissance et de santé financière tandis que les trois autres souffrent de maux divers et variés qui engendrent absence de croissance, chômage, endettement, crises financière et politique…

Le défi était simple : comment gérer nos États sociaux-démocrates tout en maintenant une bonne compétitivité, c’est-à-dire comment empêcher qu’une croissance incontrôlée des systèmes sociaux ne débouche à terme sur une situation où le poids de l’État n’étouffe le système productif.

Avant 1992, les quatre pays en question, France, Italie, Grande-Bretagne et Suède avaient tous choisi la même solution qui était d’avoir un taux de change fixe avec l’Allemagne et donc d’avoir leurs politiques monétaires gérées par la Bundesbank. L’idée était simple et d’origine française (Giscard, à l’origine de quasiment toutes les mauvaises idées) ; pour éviter que les politiciens ne fassent n’importe quoi il était urgent de leur ôter le contrôle de la monnaie pour le confier à quelqu’un de sérieux, la Bundesbank. Ces quatre pays au début de 1992 faisaient partie d’un machin technocratique qui s’appelait le système monétaire Européen (SME) où le contrôle de chaque monnaie nationale était de fait exercé par la Bundesbank. Si quelqu’un dans un pays faisait des bêtises, la monnaie était attaquée et il fallait la dévaluer contre le DM, ce qui ne faisait pas vraiment sérieux et voulait dire qu’aux élections suivantes, en général, les gens pas sérieux étaient virés.

Mais en 1992, la Bundesbank décide que la réunification avec l’Allemagne de l’Est comporte un risque inflationniste pour l’Allemagne - et porte les taux courts réels à plus de 7 %, ce qui est proprement monstrueux. Nos quatre pays européens sont de ce fait littéralement étouffés par ce durcissement invraisemblable de la politique monétaire outre-Rhin et doivent prendre une décision difficile, dévaluer et rester à l’intérieur du SME, sortir du SME ou rester à l’intérieur du SME en subissant une perte de compétitivité gigantesque créée par la hausse du DM dopée par des taux réels à 7%.

Trois de nos pays, Italie, Grande-Bretagne et Suède n’eurent même pas à prendre de décision et furent sortis du SME « manu militari » par les marchés tandis que notre quatrième, la France, s’accrochait non sans mal à sa parité vis-à-vis du DM.

Vingt ans après, il est intéressant de voir comment l’économie de chacun de ces quatre pays a évolué…

Commençons par la Grande-Bretagne et la Suède qui au début eurent des destins communs.

Libérés du carcan du SME, la Couronne suédoise et la Livre britannique chutèrent très fortement pour se retrouver rapidement à un niveau sous-évalué. Pour profiter de ce niveau sous-évalué, les capitaux en provenance de l’extérieur affluent, les actifs financiers montent énormément (bull market) et les taux d’intérêts s’écroulent. En fait, la dévaluation permet un transfert de richesse massif des rentiers (fonctionnaires, livret d’épargne à court terme) vers les entrepreneurs qui deviennent subitement concurrentiels. Les deux économies décollent tandis que dans les deux pays commencent des réformes pour continuer à réduire le poids de l’État dans l’économie, en Grande-Bretagne sous l’égide des conservateurs et en Suède sous la direction des modérés, puis des sociaux-démocrates.

Changement de décor en mai 1997 en Grande-Bretagne, les travaillistes sont élus et s’engagent immédiatement dans une politique d’augmentation de la dépense publique qui fait remonter le poids de l’État dans l’économie britannique de moins de 35% (contre plus de 50% quand Mrs Thatcher était arrivée au pouvoir) à à nouveau à plus de 50% quand Monsieur Brown, l’architecte écossais du désastre actuel, est battu par Monsieur Cameron qui se retrouve de ce fait dans une situation impossible.

La Suède par contre continue de façon impavide à se réformer, que les socialistes soient au pouvoir ou pas, et sans renier en rien les principes de solidarité qui constituent l’âme de ce pays. Pour arriver à ce résultat, l’analyse faite fut très simple. Par exemple, il est du devoir de l’État de s’assurer que tous les enfants doivent recevoir une éducation gratuite et de qualité. L’État, par l’impôt, lève les sommes nécessaires. Sur ces deux premiers principes, tous les citoyens suédois sont d’accord. Par contre rien ne dit que la meilleure façon d’assurer une éducation de qualité serait que la dite éducation soit délivrée par des fonctionnaires, bien au contraire. Chaque famille reçoit donc un « bon pour éducation » qu’elle présente à l’école de son choix et la liberté d’enseigner est donnée à tous les entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans cette activité. Ces mêmes principes furent appliqués par exemple aux transports en commun, au domaine des retraites et à une partie importante de la santé. Pour faire simple, l’État sort du domaine de la production tout en conservant ses fonctions éminentes de définition des priorités et de contrôle et de financement.

Depuis ces réformes, l’économie suédoise n’a cessé de croitre, les surplus extérieurs s’accumulent, la Couronne suédoise a été l’une des monnaies les plus fortes du monde, le chômage est au plus bas, l’inflation contenue tandis que la Bourse suédoise faisait trois fois mieux que la Bourse de Paris par exemple

Pendant la même période en Grande-Bretagne, Monsieur Brown embauchait à tour de bras des fonctionnaires, profitant des taux d’intérêt bas que la politique de son prédécesseur autorisait, le poids de l’État dans l’économie ne cessait de monter, la dette tant privée que publique battait de nouveaux records, jusqu’au point où nous sommes arrivés aujourd’hui où la Grande-Bretagne ne s’en sort que parce que la Banque centrale anglaise achète à tiroirs ouverts des obligations de ce pauvre État pour éviter que les taux ne montent… Un vrai désastre comme seuls les socialistes savent en organiser et gageons que ce pauvre Monsieur Cameron aura bien du mal a nettoyer ces écuries d’Augias. Ce n’est pas tous les jours que l’on trouve un Hercule du style de madame Thatcher pour faire le sale boulot.

Passons à l’Italie, qui elle aussi dévalue fortement en 1992, voit son économie redémarrer, ses finances s’améliorer et décide sous le leadership incroyablement incompétent de Monsieur Prodi d’utiliser cette période de rémission non pas pour effectuer les réformes de structure bien nécessaires, mais au contraire pour intégrer le plus vite possible cette sinistre farce que constitue l’Euro et supprimer la Lire. Pour mener à bien cette noble entreprise, le très suffisant Monsieur Prodi augmente massivement les impôts en Italie, ce qui fait que depuis, l’économie italienne étranglée par un taux de change qui avec le temps devient de plus en plus insoutenable et par une pression fiscale en augmentation constante a cessé de croître et stagne ou baisse depuis 2000 et que l’Italie a remplacé la probabilité d’une récession par la certitude d’une faillite. Brillant !

Pour faire simple :

   La Suède a décidé d’utiliser la manne venant de la dévaluation pour sortir l’État de la production (où il n’a rien à faire) tout en conservant ses fonctions de contrôle et de financement. Sur les vingt dernières années, le succès de cette stratégie a été tout simplement prodigieux.

   La Grande-Bretagne a décidé qu’embaucher et créer des fonctionnaires était une très bonne idée si on voulait être réélu. Échec total.

   L’Italie quant à elle a décidé que les entrepreneurs gagnaient trop d’argent (à cause de la dévaluation) et qu’il était urgent de les imposer pour lui permettre de tenir sa place dans ce qui se révèle être le plus grand désastre monétaire de l’Histoire, l’Euro. Après tout, et comme chacun le sait, Monsieur Prodi avait succédé à Monsieur Delors, et avait toujours été toute sa vie fonctionnaire international ou professeur d’économie. On pouvait donc craindre le pire… qui n’a pas manqué de se réaliser… Échec total aussi.

Et la France me direz-vous ?

Eh bien la France, comme d’habitude, fut gouvernée par un fonctionnaire, et de la pire espèce, c’est-à-dire par un inspecteur des finances. Comme gouverneur de la Banque de France, pendant la période où les taux allemands étaient insensés, il décida simplement de maintenir les taux français à des niveaux encore plus exorbitants, ce qui fit qu’étranglés par des taux de change et des taux d’intérêts sans aucun rapport avec la rentabilité du capital en France, les entrepreneurs se mirent à faire faillite en masse, en particulier dans l’immobilier (qui se souvient de la faillite du Crédit Lyonnais, au conseil duquel Monsieur Trichet siégeait ?), ce qui bien entendu déclencha une forte récession, de gigantesques déficits budgétaires et une explosion de la dette nationale.

Fort de cette brillante réussite, il fut nommé à la Présidence de la BCE où sous son magistère éclairé, des bulles immobilières gigantesques se développèrent tant en Espagne qu’en Irlande, tandis que les taux trop bas et les taux de change fixes permettaient à la France de s’autoriser quelques douceurs du style des 35 heures sans en payer le prix. Bref et depuis 1992, la France, grâce à Monsieur Trichet et à l’Euro n’a fait que suivre une politique favorable au rentier (le fonctionnaire de nos jours) et défavorable à l’entrepreneur, ce qui est bien normal quand tous les systèmes politiques, monétaires, et économiques sont sous le contrôle de fonctionnaires. Bref, des quatre pays mentionnés plus haut, la France est sans aucun doute celui qui a le plus mal négocié les vingt dernières années. Comme de plus nous venons d’élire une majorité qui, pour la première fois dans l’histoire de notre pays, a constitué un gouvernement qui ne comporte aucun représentant du secteur privé, on peut légitimement craindre le pire pour le futur proche.

Sur la tombe de l’économie française, il conviendra donc de mettre :


« Ci-git l’économie Française, sacrifiée par Monsieur Trichet, comme l’armée française le fut par Gamelin en 1939, autre Baudelaire de son temps. »


Mais ce qui est le plus irritant pour un observateur non engagé comme j’essaie de l’être, c’est la réalisation que la Suède a mis en place tous les instruments pour se sortir de la panade, et avec beaucoup de succès et que personne n'en parle. C’est cette omerta sur les vraies solutions qui est la chose qui me surprend le plus. Il n’y a aucune malédiction nous condamnant au chômage ou à la faillite.

Il n’existe que des groupes de pression qui veulent protéger leurs prés-carrés à tout prix, quand bien même cela entrainerait la faillite du pays. C’est le phénomène bien connu des spécialistes que certains d’entre eux ont appelé « la préférence européenne pour le chômage ».

Voila qui est incompréhensible… sauf bien sur si l’on est fonctionnaire en France.

Moi, conseiller-vendeur dans une grande surface d’ameublement

Moi, conseiller-vendeur dans une grande surface d’ameublement, mon métier consiste à accueillir et renseigner le client, c’est à dire, le manipuler et lui mentir pour qu’il achète dans mon magasin plutôt qu’ailleurs.

Lorsqu’on pense au rôle du vendeur, on peut imaginer un agent qui détient l’information sur les produits qu’il propose, et qui va permettre au client de trouver plus efficacement celui dont il a besoin, plutôt que de perdre beaucoup de temps à le trouver seul ou à acheter quelque chose d’inadapté.

Là où je travaille, il n’existe pratiquement aucune formation sur les produits. Le savoir du vendeur est principalement constitué d’à priori, et de quelques arguments distillés par des commerciaux qui ont tendance à défendre exagérément ce qu’ils proposent, jusqu’à se contredire lorsqu’ils ne le proposent plus. Des réunions entre vendeurs sont organisées. Il n’est jamais question de faire revenir le client, autrement que par la carte de fidélité, ni de lui rendre le meilleur service possible.

Non. On y dit : « quand on est vendeur, on aime l’argent, quand il y en a à prendre, on prend tout ». « Le client, il entre, tu le plantes ». En réalité, les primes, les augmentations, les promotions, sont directement impactées par la capacité de chacun à réaliser un chiffre important. Ceux qui en font moins sont mis à l’écart. Quoi de plus normal que les plus efficaces soient les mieux récompensés ? Cependant, il arrive un moment où il ne s’agit plus de faire beaucoup de chiffre pour être dans les premiers, mais de réaliser énormément de chiffre. À cette fin, il n’existe que deux méthodes : voler ses collègues, voler le client. Plutôt que de proposer les produits les plus adéquats, il est plus économique de payer un employé à faire semblant qu’ils le soient.
Je ne m’étendrai pas sur les manières de convaincre un client qu’il est en train d’acheter quelque chose de qualité alors qu’il se paye de la saleté venue de loin. Un exemple devrait suffire : mon enseigne a augmenté le prix de la plupart de ses matelas de 40%, afin de les proposer presque toute l’année à -30%. Ce qui peut ressembler à de l’escroquerie n’est qu’une technique commerciale parmi tant d’autres, inspirée par la concurrence.

Ce qui me choque le plus, actuellement, c’est la politique du crédit. Les vendeurs n’ont pas seulement des objectifs de chiffre, ils ont aussi des objectifs de crédits à la consommation. Depuis trois ans, cet objectif tend même à prendre le pas sur toute autre considération. Le discours officiel est purement théorique : grâce au crédit, le client peut acheter de la qualité, et l’emporter tout de suite, plutôt que d’économiser afin d’acheter moins bien plus tard.

Dans les faits, ouvrir des cartes de crédit rapporte des primes au vendeur, et au directeur. Tous les acteurs souhaitent donc en ouvrir le plus possible. Dans un premier temps, il est demandé aux vendeurs de monter en gamme, dépasser le budget initial, et pousser à avoir recours au crédit. Lorsque cela ne fonctionne pas assez, il est demandé de proposer systématiquement le crédit. Lorsque cela ne fonctionne pas assez, des opérations sont mises en place afin que le client qui souscrit un crédit ait accès à un certain nombre de privilèges. Lorsque cela ne suffit pas non plus, il est demandé aux vendeurs de proposer une remise au client, s’il choisit de payer à crédit (et cette fois, c’est illégal).

La foire au crédit ayant commis quelques dégâts considérables, la loi Lagarde est venue à la rescousse des clients à risque. Que contient cette loi ? Hé bien je n’en ai aucune idée, parce que le commercial de la société de crédit, tout à fait « responsable », nous a abrégé en trente minutes une formation pitoyable sur la loi « Largarce », comme lui et ses collègues l’appellent, dont je ne me souviens absolument plus et qui avait certainement pour but de protéger le consommateur, d’une façon ou d’une autre, et ce alors que notre travail consiste exactement à faire le contraire. Ensuite, on a signé un papier stipulant qu’on avait tout compris et donc qu’on vérifierait bien les capacités de paiement de nos clients, à l’avenir.

Certains vendeurs gagnant jusqu’à trois cent euros en un mois grâce aux crédits, je ne crois pas avoir besoin d’expliquer à quel point les capacités de remboursement des clients, on n’y fait jamais allusion. Les vendeurs les plus malhonnêtes (la majorité) leur expliquent même comment mentir sur sa déclaration afin que le dossier passe, histoire de toucher ses cinq euros de prime. « Vous dites que vous êtes en CDI, que vous gagnez bien votre vie, et que l’adresse de votre chéquier est la bonne ». Généralement, le vendeur évite aussi de vous expliquer que vous êtes entrain d’ouvrir une carte de crédit. Ainsi, vous vous retrouvez dans un box à lire et remplir un épais dossier. Enfin, pas si épais que ça, parce qu’une hôtesse me confiait récemment qu’elle ne le fournissait pas en entier, parce qu’elle n’avait pas été formée à répondre aux questions trop techniques, et donc préférait éluder quelques pages.

Mais même avec tout ceci, ces satanés clients n’ouvrent pas assez de cartes. On a donc dit aux caissières que si elles arrivaient à convaincre un client d’ouvrir un crédit, elles gagneraient trois euros.
Malheureusement, la loi Lagarce leur interdisait de proposer un crédit sans avoir suivi la pitoyable formation. Le commercial responsable est donc repassé, mais a préféré gagner du temps, et leur a demandé de simplement signer le papier attestant qu’elles avaient été formées.

Bien évidemment, vu la taille du magasin (une quarantaine d’employés), ces histoires sont anecdotiques. Mais elles révèlent quelques réalités dont il faut avoir conscience lorsqu’on conceptualise l’économie et ses agents :
  • Le client n’est plus roi, il ne s’agit plus de lui rendre service pour faire fonctionner la société, il s’agit de le rentabiliser, il s’agit qu’il devienne efficient dans son rôle de client
  • L’information est biaisée. L’information ce sont des couches de mensonges empilées les unes sur les autres
  • Les clients mécontents changent d’enseigne, et d’autres viennent parce qu’ils sont mécontents des autres enseignes, au moins aussi malhonnêtes
  • Les agents n’ayant que des objectifs quantifiables, finissent en temps de crise par chercher à les atteindre en trichant, et en mentant. Ce sont les plus efficaces à mentir et voler, les moins scrupuleux, qui obtiennent des promotions et des salaires confortables
  • Un vendeur au SMIC peut choisir de vous faire perdre beaucoup d’argent afin de n’en tirer que cinq euros
Signé : un lecteur du blog…
Commentaire Olivier berruyer : donc, le conseil du blog les-crises.fr : la prochaine fois, donnez un pourboire de 6 € au vendeur, il vous conseillera bien et vous gagnerez beaucoup d’argent ;)