Moi, conseiller-vendeur dans une grande surface
d’ameublement, mon métier consiste à accueillir et renseigner le client,
c’est à dire, le manipuler et lui mentir pour qu’il achète dans mon
magasin plutôt qu’ailleurs.
Lorsqu’on pense au rôle du vendeur, on peut imaginer un agent qui
détient l’information sur les produits qu’il propose, et qui va
permettre au client de trouver plus efficacement celui dont il a besoin,
plutôt que de perdre beaucoup de temps à le trouver seul ou à acheter
quelque chose d’inadapté.
Là où je travaille, il n’existe pratiquement aucune formation sur les
produits. Le savoir du vendeur est principalement constitué d’à priori,
et de quelques arguments distillés par des commerciaux qui ont tendance
à défendre exagérément ce qu’ils proposent, jusqu’à se contredire
lorsqu’ils ne le proposent plus. Des réunions entre vendeurs sont
organisées. Il n’est jamais question de faire revenir le client,
autrement que par la carte de fidélité, ni de lui rendre le meilleur
service possible.
Non. On y dit : « quand on est vendeur, on aime l’argent, quand il y
en a à prendre, on prend tout ». « Le client, il entre, tu le plantes ».
En réalité, les primes, les augmentations, les promotions, sont
directement impactées par la capacité de chacun à réaliser un chiffre
important. Ceux qui en font moins sont mis à l’écart. Quoi de plus
normal que les plus efficaces soient les mieux récompensés ? Cependant,
il arrive un moment où il ne s’agit plus de faire beaucoup de chiffre
pour être dans les premiers, mais de réaliser énormément de chiffre. À
cette fin, il n’existe que deux méthodes : voler ses collègues, voler le
client. Plutôt que de proposer les produits les plus adéquats, il est
plus économique de payer un employé à faire semblant qu’ils le soient.
Je ne m’étendrai pas sur les manières de convaincre un client qu’il
est en train d’acheter quelque chose de qualité alors qu’il se paye de
la saleté venue de loin. Un exemple devrait suffire : mon enseigne a
augmenté le prix de la plupart de ses matelas de 40%, afin de les
proposer presque toute l’année à -30%. Ce qui peut ressembler à de
l’escroquerie n’est qu’une technique commerciale parmi tant d’autres,
inspirée par la concurrence.
Ce qui me choque le plus, actuellement, c’est la politique du crédit.
Les vendeurs n’ont pas seulement des objectifs de chiffre, ils ont
aussi des objectifs de crédits à la consommation. Depuis trois ans, cet
objectif tend même à prendre le pas sur toute autre considération. Le
discours officiel est purement théorique : grâce au crédit, le client
peut acheter de la qualité, et l’emporter tout de suite, plutôt que
d’économiser afin d’acheter moins bien plus tard.
Dans les faits, ouvrir des cartes de crédit rapporte des primes au
vendeur, et au directeur. Tous les acteurs souhaitent donc en ouvrir le
plus possible. Dans un premier temps, il est demandé aux vendeurs de
monter en gamme, dépasser le budget initial, et pousser à avoir recours
au crédit. Lorsque cela ne fonctionne pas assez, il est demandé de
proposer systématiquement le crédit. Lorsque cela ne fonctionne pas
assez, des opérations sont mises en place afin que le client qui
souscrit un crédit ait accès à un certain nombre de privilèges. Lorsque
cela ne suffit pas non plus, il est demandé aux vendeurs de proposer une
remise au client, s’il choisit de payer à crédit (et cette fois, c’est
illégal).
La foire au crédit ayant commis quelques dégâts considérables, la loi
Lagarde est venue à la rescousse des clients à risque. Que contient
cette loi ? Hé bien je n’en ai aucune idée, parce que le commercial de
la société de crédit, tout à fait « responsable », nous a abrégé en
trente minutes une formation pitoyable sur la loi « Largarce », comme
lui et ses collègues l’appellent, dont je ne me souviens absolument plus
et qui avait certainement pour but de protéger le consommateur, d’une
façon ou d’une autre, et ce alors que notre travail consiste exactement à
faire le contraire. Ensuite, on a signé un papier stipulant qu’on avait
tout compris et donc qu’on vérifierait bien les capacités de paiement
de nos clients, à l’avenir.
Certains vendeurs gagnant jusqu’à trois cent euros en un mois grâce
aux crédits, je ne crois pas avoir besoin d’expliquer à quel point les
capacités de remboursement des clients, on n’y fait jamais allusion. Les
vendeurs les plus malhonnêtes (la majorité) leur expliquent même
comment mentir sur sa déclaration afin que le dossier passe, histoire de
toucher ses cinq euros de prime. « Vous dites que vous êtes en CDI, que
vous gagnez bien votre vie, et que l’adresse de votre chéquier est la
bonne ». Généralement, le vendeur évite aussi de vous expliquer que vous
êtes entrain d’ouvrir une carte de crédit. Ainsi, vous vous retrouvez
dans un box à lire et remplir un épais dossier. Enfin, pas si épais que
ça, parce qu’une hôtesse me confiait récemment qu’elle ne le fournissait
pas en entier, parce qu’elle n’avait pas été formée à répondre aux
questions trop techniques, et donc préférait éluder quelques pages.
Mais même avec tout ceci, ces satanés clients n’ouvrent pas assez de
cartes. On a donc dit aux caissières que si elles arrivaient à
convaincre un client d’ouvrir un crédit, elles gagneraient trois euros.
Malheureusement, la loi Lagarce leur interdisait de proposer un
crédit sans avoir suivi la pitoyable formation. Le commercial
responsable est donc repassé, mais a préféré gagner du temps, et leur a
demandé de simplement signer le papier attestant qu’elles avaient été
formées.
Bien évidemment, vu la taille du magasin (une quarantaine
d’employés), ces histoires sont anecdotiques. Mais elles révèlent
quelques réalités dont il faut avoir conscience lorsqu’on conceptualise
l’économie et ses agents :
Signé : un lecteur du blog…
Commentaire Olivier berruyer : donc, le conseil du blog
les-crises.fr : la prochaine fois, donnez un pourboire de 6 € au
vendeur, il vous conseillera bien et vous gagnerez beaucoup d’argent