vendredi 28 septembre 2012

Politique de l’Emploi (1/3) : Quelques règles basiques

Politique de l’Emploi (1/3) : Quelques règles basiques

26 Septembre 2012

A l’occasion du franchissement de la barre des 3 millions par la statistique officielle du chômage, je vous propose une série de trois articles synthétisant quelques idées fondamentales sur le fonctionnement du marché du travail.
  1. Dans ce premier article, je raconte l’histoire d’un petit village agricole sujet au progressisme social. L’analyse porte sur les notions que les étudiants américains appellent ECON101, c’est-à-dire les raisonnements sur l’équilibre des marchés décrits dans un premier cours d’économie.
  2. Dans le second billet, j’ajouterai un second produit et un second village, afin de replacer la discussion dans un contexte « international ».  (lien à venir)
  3. Enfin, dans le dernier billet, je rendrai l’histoire un peu plus dynamique, pour expliciter l’effet de l’instabilité conjoncturelle sur l’emploi. (lien à venir)
Suivant cette feuille de route, laissez-moi vous conter aujourd’hui l’histoire d’une économie primitive et libre et de son évolution progressiste vers l’utopie socialiste.

Un village rustique
La peuplade dont je vous narre le « combat social » s’était installée le long d’un fleuve, en une région si désertique qu’il suffisait de s’éloigner de quelques lieues pour que la terre devienne stérile. Et parmi les terres cultivables, possédées par les capitalistes, celles les plus proches du fleuve donnaient les meilleurs fruits, jusqu’à 100 quintaux de blés l’année, tandis que les terres des champs les plus éloignés avaient des rendements parfois deux fois moindres. Voici une carte des champs et de leurs rendements.

Plan des champs et de leurs rendements

Allocation et salaires dans un marché libre
La culture d’un champ nécessitait l’emploi d’un travailleur à temps plein. L’organisation de la production et des échanges était laissée aux principes de la liberté et du consentement mutuel, ce qu’on appelle aujourd’hui la loi du marché.
Comme la peuplade comprenait 25 paysans, l’issue du marché fut la suivante.
  • Les 25 champs les plus productifs furent mis en culture
  • Et le salaire des paysans fut fixé au niveau du rendement du 26ème champ le plus fertile, soit 65 quintaux de blé pour l’année.
Il était impossible qu’il en soit durablement autrement. En effet, à supposer que le salaire fut en dessous de 65 quintaux de blé par paysan, alors des propriétaires de champs n’étant pas parmi les 25 les plus productifs trouveraient rentables de mettre leur terrain en culture. Ainsi, ils priveraient les champs les plus proches de la rivière de main d’œuvre, et ces derniers seraient contraints d’élever leurs salaires jusqu’à 65 quintaux pour s’assurer que ceci ne se produise plus. Inversement, si le salaire devait trop largement dépasser 65 quintaux, on ne trouverait pas 25 champs rentables, et certains paysans se retrouveraient sans travail. Une telle situation mettrait les travailleurs en concurrence pour un nombre d’emplois insuffisants et ferait baisser les salaires jusqu’à 65 quintaux.
C’est la dure loi du marché que le marché du travail n’est à l’équilibre que lorsque le niveau des salaires est égal à la productivité du meilleur emploi non existant.

Champs mis en culture par le marché (en jaune)

Le salaire minimum
Un jour, les villageois se réunirent pour élire un chef. C’était un homme progressiste et très généreux qui leur avait promis à tous davantage de blé pour nourrir leurs familles. Qui pouvait contester l’humanisme d’une telle idée ? Aussi son premier acte en tant que gouvernant fut de décider que les salaires seraient désormais égaux à 80 quintaux de blé, et non plus à 65.
Hélas, un certain nombre de champs produisant moins de 80 quintaux, leurs propriétaires décidèrent logiquement de ne plus les exploiter. Seuls 20 champs restant en culture, 5 paysans se retrouvèrent sans emploi.
Evidemment cela créa du mécontentement, et certains se sentirent floués par la mesure. Pour autant, à l’élection suivante, le chef fut réélu avec 80% des voix, soit celles des 20 paysans ayant profité de sa politique.

Effets de l’instauration d’un salaire minimum

Une charge sociale pour aider les chômeurs
Mais comme le grand chef était un homme très généreux et non un politicien soucieux de ses seuls électeurs (ce qui n’est pas toujours le cas), il eut pour soucis de secourir ces nouveaux démunis.
Il décida donc que désormais, de chaque champ cultivé serait prélevé 5 quintaux de blé l’année afin de nourrir les chômeurs. Pour les propriétaires de champs, cela était finalement assez semblable à une baisse de 5 quintaux du rendement de leur terre. Aussi, deux des champs ne produisant que 80 quintaux, il n’apporterait à leur propriétaire que 75 quintaux de les cultiver. Mais cette culture coutant les 80 quintaux du salaire minimum, les deux champs en questions furent mis en jachère en attendant des jours plus propices aux affaires… et les deux paysans qui les exploitaient vinrent s’ajouter à la masse des nécessiteux, désormais au nombre de 7.

Effets de la charge sociale destinée à aider les chômeurs

Réduction du temps de travail
Le chef eut alors une dernière idée. S’il n’y avait désormais plus assez de champs mis en culture pour occuper tout le monde, il fallait simplement qu’un champ occupe plus d’une personne. Pour cela, son idée était de réduire le temps que la loi autorisait à travailler quotidiennement. Ainsi, un technocrate avait-il calculé qu’il ne faudrait plus 1 mais 1,1 travailleur pour cultiver un champ. Aussi, était-il convenu qu’une telle mesure accroîtrait de 10% l’offre d’emploi. On convoqua les 18 paysans ayant toujours un emploi pour leur demander leur avis – cela s’appelait le dialogue social – et ces derniers exigèrent que cette mesure n’entraina point de baisse des salaires. Ce qui fut accordé.
Ainsi, il coûtait désormais 80*1,1=88€ d’exploiter un champ. Et les champs dont le rendement était inférieur à ce coût furent à leur tour laissés en friche. Seuls les 12 champs bordant le fleuve furent laissés en culture, occupant 13,2 paysans. Les 11,8 autres se retrouvant sans emploi.

Effets d’une réduction du temps de travail à salaire constant
Plus tard, la situation catastrophique contraignit le chef socialiste à s’allier à la prêtresse des flots pour assurer sa réélection. Mais en échange de son soutien, cette dernière exigea qu’il soit interdit de cultiver les champs bordant le fleuve car l’agriculture, en ces endroits, troublait la quiétude des crocodiles sacrés… Mais je préfère arrêter ici ce chapitre et laisser le reste à votre imagination.

dimanche 23 septembre 2012

Arendt

Moralement parlant, écrit Arendt, il est presque aussi mal de se sentir coupable quand on n'a rien fait de précis, que de se sentir innocent quand on est coupable.

vendredi 21 septembre 2012

Faut-il craindre des faillites bancaires dans les mois à venir?

Faut-il craindre des faillites bancaires dans les mois à venir?

LE CERCLE. On peut désormais considérer que la crainte de défaillances bancaires est parfaitement justifiée, tant le système financier moderne est déséquilibré, intoxiqué !

Ces vingt dernières années, les banques (et les compagnies d’assurance-vie qui s’y rattachent) ont voulu "absorber" l’économie réelle, en la financiarisant. Or, dans la vie économique réelle, il y a des affaires (entreprises, immobiliers, bourses) qui sont prospèrent, d’autres toxiques. Les faillites éliminent les toxines, mais cela peut prendre du temps, surtout si elles sont mises sous cloche, donc invisibles. La financiarisation a aussi permis cela : cacher les mauvaises affaires des banques, soit dans des produits complexes ou même dans leurs bilans qui ne relatent pas toute la réalité. Aujourd’hui, c’est la quasi-totalité des établissements financiers qui est plus ou moins intoxiqué ; certains d’entre eux sont même au bord de la syncope.
Le sujet de la solvabilité des banques est à ce point préoccupant qu’il a fait partie des toutes premières priorités du dernier sommet européen. Nos dirigeants ont dû mettre en place un service d’urgence, sous la forme d’une sorte "d’union bancaire européenne" qui, d’une façon mutualisée, aurait pour vocation de venir au secours des banques en difficulté.
Mais attention ! Que les clients des banques ne s’y trompent pas. Il ne s’agit pas d’une garantie européenne pour tous les dépôts bancaires ! C’est au cas par cas, banque par banque, que l’Europe décidera d’intervenir ou pas. Reste alors la garantie de l’État français qui prévoit de protéger l’épargnant. Toutefois, en cas de faillites en cascade (c’est un scénario à prendre en considération du fait du caractère systémique de la finance actuelle) la question du financement de cette garantie étatique se poserait, puisque les caisses sont vides.
Comment un établissement financier peut-il faire faillite ? Comme toutes autres entreprises !
- Par le bas, lorsque son compte de résultat est négatif et que ces pertes viennent dégrader le bilan au point d’aboutir à la situation où l’entreprise doit plus qu’elle ne possède.
- Mais la faillite peut aussi directement venir du haut (du bilan lui-même) soit par de dettes irrécouvrables, soit par une baisse significative de la valeur des actifs.
Chacun peut constater que depuis des mois, les banques font des bénéfices records. Mais en fait, ces profits sont loin de pouvoir compenser l’accumulation des dépréciations d’actifs à laquelle les banques et les compagnies d’assurance-vie doivent faire face depuis 2008. Il s’agit bien sûr des dettes souveraines partiellement ou totalement insolvables – mais aussi des biens immobiliers fortement dévalorisés dans tout le monde occidental (la France faisant exception pour le moment) - des concours ou des participations directes dans des entreprises qui sont en difficulté du fait de la crise économique - des CDS (qui sont des contrats d’assurance sur des obligations), dont les cours se sont effondrés.
Pour redonner de la valeur à ces actifs, il faudrait de la croissance, une forte croissance. Mais elle n’existe ni en Europe, ni dans les pays anglo-saxons. Les banques centrales (BCE, FED) peuvent injecter toutes les liquidités qu’elles veulent, les effets sont nuls voir négatifs, puisque le problème n’est pas de gonfler la masse monétaire (déjà artificiellement trop importante et sans contrepartie de vraie richesse produite). Le problème se pose à l’endroit des très fortes dépréciations des actifs détenus par les établissements financiers, dépréciations non encore actées, pas encore comptabilisées, mais dont l’existence est connue des professionnels depuis quelques mois maintenant. Le silence sur ce sujet ne pourra plus durer longtemps. La réalité devrait éclater d’ici quelques mois, pénalisant les épargnants européens et surtout anglo-saxons.
Face à cette situation de fort risque de défaillance bancaire, il est inutile de courir à son guichet pour y retirer tout son argent. Lors des moments de crises bancaires, le taux de cambriolage des maisons monte en flèche et l’argent sous le matelas est encore plus en danger.
La solution consiste donc plutôt à bien choisir sa ou ses banques, sa ou ses compagnies d’assurance-vie, que l’on soit un particulier ou une entreprise.
Il ne faut pas compter non plus sur "l’effet de masse", celui qui consiste à penser que son établissement financier est un "géant" donc indestructible. En 2008, A.I.G (la 1re compagnie d’assurance au monde) a dû être sauvée de la faillite par les autorités américaines. Plus proches de nous, l’année dernière, la compagnie d’assurance "Groupama" et la banque "Dexia" ont également dû être aidées pour échapper à la banqueroute.
Hier, le choix d’une banque ou d’une compagnie d’assurance s’appuyait sur des considérations relatives à sa notoriété, à ses tarifs, son implantation. Aujourd’hui, il faut en priorité faire son choix selon des critères de solvabilité afin de passer, dans les meilleures conditions possible, la crise financière et bancaire qui s’annonce d’une façon imminente.
Estimer la solvabilité d’une banque ou d’une compagnie d’assurance-vie n’est pas aisée tant la lecture de leur bilan est complexe. C'est pourquoi de plus en plus d’investisseurs consultent au préalable des Cabinets spécialisés et indépendants pour les aider dans leurs choix. Mais même avec cette précaution, la prudence est de mise et la diversification dans plusieurs établissements dont le bilan est sain doit être recommandée.

Allons-nous vers une nouvelle "crise de 29" ?

Allons-nous vers une nouvelle "crise de 29" ?

C’est malheureusement très probable ! Pourtant, ce n’est pas ce que nous disent les marchés financiers. Cet été, ils viennent même de connaître une envolée spectaculaire (+ 15%)

C’est malheureusement très probable ! Pourtant, ce n’est pas ce que nous disent les marchés financiers. Cet été, ils viennent même de connaître une envolée spectaculaire (+ 15 % en Europe en moyenne). Cet épisode haussier a été une nouvelle occasion de vérifier que la confiance joue un rôle prédominant. C’est toujours étonnant de constater l’impact qu’ont de simples paroles, dès lors qu’elles sont formulées par un orateur considéré comme crédible : ici Mario Draghi, le Président de la BCE. Après sa dernière intervention, on a même pu lire que "l’Europe était sauvée !" ou encore que "les marchés européens avaient désormais un boulevard devant eux, car ils devraient rattraper l’avance prise par les marchés américains qui sont revenus à leur niveau d’avant 2008 alors que le Cac est encore à -40 %".
Pourtant, si l’on examine plus en détail les vraies possibilités d’intervention de la BCE, on est en droit de penser que l’optimisme des marchés est largement exagéré. Si l’on s’arrête sur les fondamentaux économiques, c’est encore plus inquiétant, car on a toutes les raisons de craindre un retournement des marchés dans les semaines ou les mois à venir, tant la confiance devrait se retourner sous le poids du principe de réalité. Certains prix Nobel d’économie comparent même la situation actuelle à celle du début de "la grande dépression" de 1929.

Les vraies possibilités d’intervention de la BCE sont limitées

Le dernier message de Mario Draghi vient de faire mouche. La banque centrale assurerait enfin la stabilité du système financier européen en achetant des dettes d’États de maturité inférieure à 3 ans, sous certaines conditions certes, mais de façon illimitée. Le marché s’est immédiatement enflammé, enthousiasmé par ce terme "illimité". Trois commentaires s’imposent :
- En premier lieu, il convient de rappeler que l’interventionnisme de la BCE n’est pas une nouveauté. Depuis 2010, elle a déjà racheté des dettes de pays en difficulté pour au moins 200 milliards d’euros et surtout 5 fois plus de créances "douteuses" auprès des banques en difficulté.
- Par ailleurs, en y regardant de plus près, le caractère illimité de l’aide potentielle est en fait restreint, dans son montant et du fait des conditions d’obtention extrêmement dissuasives. En effet, le pays demandeur d’aide doit, en contrepartie, accepter de perdre sa souveraineté par son asservissement à un plan de rigueur et à des contrôles sévères menés par la "Troïka" (le gendarme de l’Europe en la matière). Cela explique pourquoi il y a si peu de pays candidat pour le moment.
- Enfin, si l’on se réfère à la décision que vient de prendre la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, en pratique, la capacité d’intervention maximale de la BCE serait de l’ordre de 600 milliards (et non illimitée), montant qui correspond à moins de la moitié de la dette sur 3 ans des seuls PIIGS.
La limitation de l’aide est encore plus flagrante si l’on prend l’exemple de la dette grecque : sur les 3 ans à venir, elle ne représente que 14 % de sa dette globale. Par ailleurs, dans quelques semaines, la Grèce doit rembourser 30 milliards ; elle ne pourra pas le faire. Le rapport de la "Troïka" faisant état du non-respect du plan de rigueur de la Grèce, la BCE ne devrait pas pouvoir intervenir. C’est donc du temps que l’on pourra donner à la Grèce et non de l’argent, car ni la BCE ni les autres institutions chargées de sauver les banques et l’Euro n’en ont.
En effet, il est intéressant de noter que la BCE n’est dotée que d’un capital de 83 Milliards d’euros, soit moins de 10 % de ses créances dites "difficiles". Or, les traités prévoient que ce sont les États membres qui doivent recapitaliser la BCE en cas de besoin. Autrement dit, au bout du chemin, ce seront les contribuables qui paieront.
On comprend ici que la stratégie retenue par la BCE (comme celle de la FED depuis toujours) permet peut-être de gagner du temps et de faire plaisir au marché, mais elle ne constitue en aucun cas un traitement de fond acceptable dans la mesure où elle conduit tout simplement à la "paupérisation" par la spoliation fiscale. Même les régimes sociaux vont être impactés. Les réserves financières des Mutuelles diminuent à vue d’œil en même temps que leur imposition augmente. Dès 2018, l’AGIRC par exemple, n’aura plus aucune réserve, dans un contexte de vieillissement de la population et de rallongement de la durée de la vie. Le "Pôle-emploi" dysfonctionne par manque de moyens alors que 30 % des plus de 50 ans sont déjà au chômage et que les jeunes ne trouvent pas d’emploi. La situation est encore pire dans les autres pays du sud de l’Europe, de même qu’aux États-Unis (où 30 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté), et où le soir, on ouvre des gymnases pour servir la soupe populaire. Ce sont des faits : c’est déjà le présent !

La récente hausse des marchés est en totale contradiction avec les réalités économiques

Les marchés montent parce qu’ils sont largement pourvus de liquidités par les Banques centrales (BCE, FED et maintenant japonaise). Mais quelle est vraiment la situation économique et financière au regard des données réelles ? L'Europe est en récession, les zones émergentes poursuivent leur décélération et les États-Unis commencent à montrer des signes inquiétants.
Sur le plan financier, si effectivement le risque de l’éclatement de la zone "Euro" s’éloigne, qu’en est-il du risque d’écroulement du système financier anglo-saxon, facteur déterminant qui pourrait en cas de faillite, nous conduire à une situation comparable à celle de la crise de 1929 ?
- Le cloisonnement entre les banques de crédit et les banques d’investissements n’est toujours pas fait. L’Angleterre a un endettement abyssal et la dette fédérale des USA (16 000 milliards de dollars) ne laisse plus de marge pour sauver les banques.
- La situation politique aux USA est bloquée, avec un État qui veut continuer à injecter des liquidités et un congrès qui ne veut plus débloquer de nouveau budget, imposant à terme une politique d’austérité au pays, avec obligatoirement de fortes coupes dans les dépenses étatiques. C’est d’ailleurs pourquoi la FED tente de contourner ce blocage politique en décidant (début septembre) d’injecter jusqu’à 40 milliards de $ par mois afin de racheter des créances immobilières douteuses. 
En fait, c’est un petit QE 3 caché, c’est-à-dire que la politique de "la planche à billets" continue et met sur le marché de "l’argent virtuel" puisqu’il est sans contrepartie de richesse produite. En l’absence de croissance, qui seule donnerait de la valeur à cette masse monétaire inventée, cette stratégie ne peut que conduire à une forte dépression des actifs financiers et aussi immobiliers dans lesquels les banques sont considérablement engagées. Si la FED cherche à gagner du temps et à faire plaisir au marché, arrivera nécessairement un moment où il faudra faire le compte des pertes d’actifs, les comptabiliser; ce moment semble désormais proche.
On peut facilement comprendre qu’après la crise de 2008, il fallait renflouer les banques, puisque l’on a laissé faire et même favorisé la "financiarisation" de l’économie durant ces vingt dernières années. En revanche, ce que l’on peut regretter, c’est la double stratégie utilisée par la FED (et la BCE dans une moindre mesure), exclusivement tournée vers l’intérêt des banques au détriment de l’intérêt des peuples :
- Une politique de taux historiquement bas, pour donner accès aux banques commerciales à de l’argent presque gratuit, leur permettant ainsi de soigner leur compte de résultats en replaçant ces capitaux à environ 4 %. Les bénéfices ont été considérables, mais n’ont aucunement profité aux ménages, ni aux entreprises, bien au contraire.
- Une politique de "planche à billets" pour aider les établissements financiers directement, ou indirectement en favorisant la hausse des marchés.
Les résultats de l’économie réelle en souffrent et il est fort probable que ces soutiens massifs aux banques n’aient servi à rien, puisque la santé financière de ces dernières ne s’est pas assez améliorée depuis 2008. Elles ont dilapidé ces soutiens en continuant à verser des bonus extravagants et des dividendes conséquents. Les déficits étatiques considérables qui ont été créés pour sauver les banques n’auront ainsi servi qu’à gagner du temps et devront demain être payés "in fine" par les contribuables.
Plus grave encore. Comme les banques n’ont pas suffisamment amélioré leur bilan, il y a une très forte probabilité que certaines d’entre elles fassent faillite d’ici peu, lorsqu’il faudra comptabiliser les pertes d’actifs qu’elles portent en elles. La banqueroute de Lehman brothers nous a récemment rappelé les désastres systémiques que ce type d’évènement peut créer.
En fait, dès 2008, il aurait certes fallu aider les banques, mais en les obligeants à restituer les aides perçues. Par exemple, elles auraient pu émettre des obligations convertibles sur 7 ou dix ans, que les banques centrales auraient achetées. Il fallait aussi leur interdire momentanément de distribuer leurs profits pour les conserver en fonds propre, ce qui non seulement aurait été plus morale, mais aussi plus efficace pour véritablement les renforcer.
La "zone euro" a gâché une partie de sa force en favorisant les banques et les marchés financiers, mais c’est surtout les USA (qui ont été bien plus loin dans cette politique) qui souffriront lorsque le moment de faire les comptes sera venu. La probabilité que nous ayons déjà mis un pied dans le début d’une crise de type 1929 est forte. Et comme à cette époque, c’est d’outre atlantique que pourrait venir jusqu’à chez nous un nouveau "tsunami financier", si de profondes réformes de la finance mondiale ne sont pas mises en place très rapidement, et si l’on avait la chance d’échapper à un conflit au Moyen-Orient dont le cout accélèrerait les évènements.
Quoi qu'il en soit, tant que les États (par la politique de leur banque centrale) préfèreront la finance au peuple, nous connaîtrons des crises du type 1929, avec les conséquences désastreuses qui peuvent s’en suivre, comme l’histoire nous les a montrées.
Jean-Yves Lefèvre
Chargé de cours à l’Université de Paris Dauphine.

mardi 18 septembre 2012

Dans les files d'attente de la CAF : "C'est pas ça, la vie"


Dans les files d'attente de la CAF : "C'est pas ça, la vie"

LE MONDE | 18.04.2012
Par Florence Aubenas

Les files d'attente s'allongent devant les caisses d'allocations familiales, où l'on parle peu de la présidentielle et beaucoup d'une France en panne.

Cela se passe pendant l'année de l'élection présidentielle, pas celle-là, la précédente, en 2007. On est à l'automne, au moment où, dans les fermes et les maisons de la Creuse, on remplit les cuves de fuel en prévision des grands froids. A Guéret, les agents de la caisse d'allocations familiales (CAF) voient alors arriver des gens qui ne venaient jamais dans leurs bureaux : des retraités avec des pensions de quelques centaines d'euros à peine, mais qui en vivaient silencieusement depuis toujours et se seraient étonnés d'être considérés comme pauvres. Cette année-là, ils poussent la porte de la CAF, gauches, effarés d'avoir à demander quelque allocation, se présentant tous par la même phrase : "Pour la première fois, je n'ai plus les moyens de faire rentrer le fuel."

Chargé de la gestion à l'agence, Patrick Perrichon se souvient en avoir discuté avec ses collègues : "On voyait que quelque chose était en train de se passer. Mais quoi ?" Six mois plus tard éclatait la crise économique. La CAF de Guéret, préfecture de la Creuse, est la plus petite de France : 15 salariés, 17 000 allocataires. Un tiers d'entre eux vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté. Ici comme ailleurs, cette branche de la Sécurité sociale, chargée de verser les prestations familiales ou sociales (dont le revenu de solidarité active, RSA), est le premier maillon qui relie les Français à l'Etat. Ou alors le dernier.

Retour en 2012, ces jours-ci exactement, juste avant le nouveau scrutin : à la CAF de Guéret, dans le bureau d'Emilienne, il y a Pierrot, cheveux noirs sur le front, blouson de cuir et sourire du joli garçon accoudé au baby-foot. Il vient vérifier le montant de ses allocations, ce qui consiste ici à dévider sa vie. Pierrot est éboueur, 1 100 euros par mois ; sa femme enchaîne des petits boulots. Leur fille va fêter ses 3 ans et la nouvelle sonne comme une catastrophe : l'allocation "jeune enfant" s'arrête (182 euros). "On ne va plus y arriver", annonce Pierrot. Il faudra lâcher l'appartement au village, revenir s'installer chez sa mère. Pierrot parle tout seul : "Et si on arrêtait aussi la nounou ? Et si on vendait la voiture ?"

"ON TRAVAILLE, ON FAIT TOUT CE QU'IL FAUT ET ON SE VOIT TOMBER"

De toute façon, tout est compté, ils ne bougent plus ou presque, s'autorisant de moins en moins l'hypermarché et plus jamais la sortie au lac de Courtille, le dimanche après-midi. "Et si on ne travaillait plus ? Et si on vivait des aides ? Des gens font ça, non ?" Pierrot n'est pas en colère. Il ne jette pas ses phrases, rage aux lèvres, pour annoncer un vote Front national parce que, décidément, trop de gens profitent du système, surtout les étrangers - terme qui désigne ici les Anglais, un temps considérés comme les vampires de la Creuse, achetant nos châteaux et vivant de nos allocs. Non, Pierrot sourit. Il raconte ce monde où les voitures s'arrêtent parce qu'on n'a plus de quoi mettre de l'essence. "On travaille, on fait tout ce qu'il faut et on se voit tomber. C'est pas ça, la vie." Il regarde par la fenêtre les toits de Guéret dans le vert tendre des prés. Puis, à Emilienne derrière son ordinateur, il demande : "Et vous, vous savez pour qui voter ?"

Patrick Perrichon, à la gestion, tempère. "Cette année, beaucoup de jeunes viennent nous dire la même chose : et si on arrêtait de travailler ? Ils se sentent à la limite, ils ne le font pas, heureusement." Pourtant, ses collègues et lui se posent la même question qu'en 2007, avant la crise : "Quelque chose est en train de se passer. Mais quoi ?"

Il est 7 h 30, à la CAF toujours, mais à Grenoble cette fois, dans l'Isère. Vu d'ici, Guéret paraît loin, à l'opposé même : Grenoble est une grosse agence urbaine (850 salariés, 216 000 allocataires). L'accueil n'ouvre que dans une heure, mais des personnes commencent à affluer. Ce matin, ce sont deux soeurs blondes, avec le même chignon en pelote posé haut sur la tête, qui sont arrivées les premières. Cela fait des jours que des agents, notamment de la CGT, envoient des SOS : les bureaux sont débordés, ils n'y arrivent plus.

Dans les grands centres, l'attente culmine parfois à deux heures.

En attendant l'ouverture, on se met à parler présidentielle, presque malgré soi. "Hier soir, j'ai dit à mon mari : éteins-moi cette télé, il y a encore les élections", explique une soeur à chignon. Et l'autre : "Nous, en ce moment, on ne l'allume plus du tout, sauf quand on a des invités, bien sûr. Sinon, ça fait trop triste." Avant, elles voulaient être coiffeuse. Puis vendeuse. Puis femme de ménage. Maintenant, elles disent qu'elles seront ce qu'on veut, "c'est-à-dire rien pour l'instant", précise l'une, sans fâcherie. Aucune n'a le souvenir d'un fait ou geste de la campagne électorale. A vrai dire, personne n'en a retenu une seule réplique dans la file d'attente ce jour-là. "Pourtant j'ai bonne mémoire, s'étonne lui-même un boulanger devenu déménageur. Je pourrais vous réciter la recette que j'ai vue sur Cuisine-TV."

La dernière fois, il avait voté Ségolène Royal. Il le regrette. "J'aime gagner, il dit. Je suis un battant." Une femme annonce qu'elle a choisi Chirac. Quand un Turc derrière elle dans la queue lui révèle qu'il ne se présente pas, elle encaisse rudement le choc. "De toute façon, les politiques ne font que s'envoyer des gros mots entre eux, reprend une soeur à chignon. Avant, au moins, c'est nous qui les engueulions, ça défoulait. Mais même les insultes, ils nous les ont piquées." Un soleil pâle flotte dans un ciel pâle, les montagnes paraissent très près, juste au bout du parking.

A SAINT-DENIS, QUATRE HEURES POUR ATTEINDRE L'ACCUEIL DE LA CAF

A 8 h 30, un vigile ouvre les portes de la CAF avec une bonne humeur désarmante et pour 1 100 euros par mois. Il complète avec un deuxième boulot le week-end : nettoyer les hôtels des stations de ski. Le patron vient le chercher en camionnette à 5 heures du matin et le ramène le soir. 68 euros. Le vigile a bien observé chaque candidat à l'élection. Il reste perplexe : "Je n'arrive pas à m'identifier à l'un d'eux."

Le nouveau cahier des charges impose que l'attente n'excède pas vingt minutes : elle culmine parfois à deux heures, ici comme dans les grands centres, le Nord ou Clermont-Ferrand. A Saint-Denis, dans le 93, il faut quatre heures pour atteindre l'accueil. Il y a toujours plus de crise économique, toujours plus de mesures et de législation, toujours moins de personnel : ici, comme dans l'ensemble des services de l'Etat, seul un départ à la retraite sur deux est remplacé, les congés maternité ne le sont plus du tout.

Une dame avec une poussette déplie son relevé de compte pour prouver qu'elle n'a plus rien : ses allocations n'ont pas été versées. "Un dossier met deux mois à être traité en ce moment", répond l'agent. Seize mille attendent dans les Bouches-du-Rhône.

En 2010, Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales (la CNAF, qui regroupe les CAF locales), s'était alarmé d'une possible "implosion". "En poussant un coup de gueule, il croyait décrocher des effectifs, comme ça se faisait habituellement", raconte un cadre de la caisse. Il a réussi à gratter quelques CDD, pas plus. C'est alors que tout le monde a compris que l'époque avait changé : "La crise ne touche pas seulement les allocataires, mais nous aussi, reprend le cadre. Désormais, il faut faire avec ce qu'on a."

Aujourd'hui, certaines caisses doivent fermer ponctuellement pour écluser les retards. Partout, les services de travailleurs sociaux se réduisent. Ici, une photocopieuse s'arrête, parce que le contrat d'entretien n'a pas été payé. Des rumeurs de restructuration circulent, des fonctions valsent. Un peu comme à La Poste ou à ERDF, les arrêts maladie et les dépressions augmentent, surtout dans les grands centres. Dans le cadre d'un plan gouvernemental d'urgence sur le stress et les risques psycho-sociaux au travail, une enquête interne menée en 2011 sur l'ensemble de la Sécurité sociale relève que 5 % des salariés ont pu avoir "des pensées mortifères ou suicidaires".

En ces temps d'élections, reconnaître un manque de moyens reviendrait de fait à s'engager dans la campagne. Jean-Louis Deroussen s'est fait silencieux et prudent, mettant en avant de réelles réussites, comme la décentralisation de la plate-forme téléphonique de Paris à Guéret.

Plus haut que Grenoble, vers Lyon, Vienne est une ville coquette de 30 000 habitants. A la CAF locale, des allocataires apportent des chocolats à Noël et quelques-uns refusent de toucher le complément RSA, par crainte des voisins. Chacun se connaît, y compris les SDF, toujours les mêmes sur le même banc, et personne n'imagine se retrouver, un jour, assis à leurs côtés.

Aujourd'hui, c'est Ben qui arrive au guichet. Couvreur-zingueur, la chemise d'une blancheur de lessive, 2 200 euros par mois jusqu'à l'année dernière : Clara, la femme de sa vie, était fière de le présenter à ses parents. Ils ont eu trois enfants et aussi une ambition : ouvrir un local de restauration rapide. C'était l'idée de Clara, "qui a toujours eu une certaine classe". Il y a un an, les chantiers ralentissent, Ben ne trouve plus d'embauche. Clara finit par lui demander de partir, gentiment.

"ET SI J'ARRÊTAIS TOUT?"

Pour parler de sa vie maintenant, de sa voiture qu'il ne fait plus rouler depuis qu'il dort dedans, de ce sentiment de n'être plus un homme, Ben a un mot : "Le gouffre". Quelques fois, il s'assoit au volant, fait tourner le moteur et allume l'autoradio. Alors, il se sent en sécurité. Il se dit qu'il n'est pas à plaindre, que le système social français est le meilleur du monde, il a entendu ça quelque part et le répète avec confiance. Il se met à espérer qu'on va parler football aux informations. Et puis non, c'est encore la voix d'un homme politique, qu'il arrive mal à distinguer des autres. "Pourvu que les gens ne se révoltent pas, pense Ben. Je pourrais tout perdre."

La femme en face de lui, à l'accueil, ce jour-là, s'appelle Jeanne. Elle doit aller vite, tenir les cadences, "dégager" les gens, c'est le terme officiel. Entre elle et les allocataires de l'autre coté du guichet, il n'y a parfois presque rien : Jeanne a 52 ans, divorcée, une fille, 1 300 euros net. Ça fait un moment que les Chèques Restaurants servent surtout à remplir le frigo et qu'elle oublie de partir en vacances. "C'est la fibre sociale qui me fait tenir", dit-elle. Ici, on est dans "l'Etat d'en bas", comme on a pu dire la "France d'en bas". En 2009, quand le RSA a été lancé, cela avait été une des surprises à la direction de la CNAF : des salariés de la caisse se sont retrouvés bénéficiaires d'un complément des minima sociaux.

A la CAF de Guéret, Emilienne et sa collègue Martine regardent Pierrot qui s'en va avec son blouson de cuir. Martine se souvient de la naissance de son fils, quand, elle aussi, elle s'est dit : "Et si j'arrêtais tout ?"

Florence Aubenas

Courbe de Laffer: Trop d'impôt tue l'impôt

Exemple d'une courbe de Laffer :


"le grand enjeu c'est de savoir si on est vraiment au delà du sommet de la cloche."

En France, je pense qu'on en est pas loin, et que pour pas mal de catégories sociales, on a passé le maximum, et que ça va pas s'arranger...

   De plus en plus de gens aisés commencent à se dire que ça sert à rien de bosser 70h par semaine pour 4000€ net par mois, et qu'il vaut mieux lever le pied,
   De plus en plus de gens habitant loin commencent à se dire qu'il vaut mieux ne pas bosser que de gagner 800€ par mois avec 300€ de frais de bagnole,
   Pour de plus en plus de gens, plutôt que de travailler dans sa spécialité où on est productif pour payer un spécialiste du bâtiment pour faire des travaux, il devient rentable d'arrêter de travailler pour faire soi même les travaux, en étant non spécialiste.

mercredi 12 septembre 2012

Ceci n’est pas une crise de l’immobilier

Ceci n’est pas une crise de l’immobilier 

yetiblog.org
Publié le 11/09/2012 à 10h19
 
Morne ankylose sur le marché de l’immobilier depuis le début de l’année. Les panneaux « à vendre » fleurissent et subissent les outrages du temps qui passe. Et les herbes folles vont bientôt remplir les jardinets des pavillons en souffrance d’acheteurs. Je ne souhaite à personne d’avoir un appart’ ou une maison à vendre en ce moment. Rigolez pas, c’est mon cas !
Première fois que ça m’arrive. Changement de domicile tous les cinq-six ans (un « voyageur à domicile » ça a la bougeotte !), trois ou quatre mois de délai pour conclure ventes et rachats et le tour était joué. Là, un an déjà de mise en vente et une pétole à vous désespérer un Kersauzon.
J’ai téléphoné à ma notaire pour avoir une météo immobilière assermentée.
« Oulala, mon pauvre monsieur, le calme plat, des ventes mensuelles qui se comptent sur les doigts d’une main. On attend... »
Je ne vous parle même pas de la réaction transie de mes agences immobilières. Evoquez le sujet avec elles et elles se recroquevillent comme des zozieaux pétrifiés par un froid polaire.

Une baisse des prix d’environ 40 % en vue ?

Le plus douloureux pour ma conscience, c’est quand un acheteur potentiel égaré pointe son nez et s’extasie sur mon abri. Voyez pas qu’il se laisse séduire, accepte mon tarif !
Car il y a une chose qu’il faut se mettre dans le ciboulot : les prix de l’immobilier vont se dégonfler comme des baudruches. Pour revenir à des niveaux beaucoup, beaucoup plus raisonnables. Regardez bien le graphique ci-dessous. Il s’agit de l’évolution des prix de l’immobilier comparé à celle du revenu des ménages.


Jusque dans les années 2000, les prix de l’immobilier restaient dans le « tunnel » du raisonnable par rapport à l’évolution du revenu des ménages. Et puis à partir des années 2000, boum, la grosse bulle qui enfle, qui enfle ! Le crédit facile sur 10 ans, 15 ans, 30 ans...
Aujourd’hui, patatras, crédit est en train de mourir pendu par la crise de la dette. Et qui peut acheter s’il ne fait pas partie des quelques héritiers veinards ou s’il n’a pas un bien préalable à vendre ? Pour les autres, les primo-accédants et les jeunes, c’est tintin pour les rêves de « home sweet home ».
Mais les grosses bulles finissent toujours par exploser et revenir sagement dans le tunnel (regardez ce qui se passa début des années 90 à Paris, courbes rouge et bleu clair). Soit une baisse d’environ 40 % à attendre incessamment sous peu.

Pas une crise mais un retour au raisonnable

Remarquez, moi je m’en fous de vendre ma maison 40 % moins chère... si le prix de celle que j’achète a baissé d’autant ! Faut juste que vendeurs et acheteurs accordent leurs violons en même temps, c’est tout.
Pour l’instant, ça essaie encore de freiner. Les vendeurs, surtout quand ils ont encore un gros crédit à rembourser (peu de chances que les banques leur accordent une ristourne de 40 % sur le capital restant dû). Les agences immobilières et les notaires qui s’accrochent aux œufs d’or de la vieille poule.
Et les spéculateurs immobiliers qui ont bien du souci à se faire. Eux ne tablent que sur la valeur financière d’un bien. Et non sur sa valeur d’usage (un abri, un endroit où dormir et faire des tas de choses agréables).
Car si la valeur d’usage d’un bien immobilier demeurera, sa valeur financière a toutes les chances de ne pas rester au même niveau de folie qu’aujourd’hui. Les premiers craquements se font entendre dans la bâtisse. Vendeurs en manque de liquidités (perte d’emploi ?) ou contraints de vendre (mutations professionnelles ?). Agences au bord du dépôt de bilan (5 000 suppressions de postes annoncées). Notaires sonnés.
Juste et moral retour au raisonnable, peut-être, mais en attendant, chut, des pas dans l’allée. Une visite ? Non, le facteur. Avec une lettre. La taxe foncière. Ouh la vache, pas prête de redescendre dans le « tunnel », celle-là !

lundi 10 septembre 2012

Jean Ziegler - L'Empire de la honte

Jean Ziegler : "Nous allons vers une reféodalisation du monde"
Dans son nouvel essai, L'Empire de la honte (Fayard), qui paraît le 10 mars, le sociologue et intellectuel subversif genevois - aujourd'hui rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation de la commission de l'ONU pour les droits de l'homme - part à l'attaque des "sociétés transcontinentales privées". Accusées d'entretenir la famine, de détruire la nature et de subvertir la démocratie, elles étendent leur emprise sur le monde et veulent réduire à néant les conquêtes des Lumières. Pour leur résister, il faut retrouver l'esprit de la Révolution française et relever la tête, comme le fait déjà au Brésil le président Lula da Silva.

Votre livre s'intitule L'Empire de la honte. Quel est cet empire ? Pourquoi "de la honte" ? Quelle est cette honte? 
 
Jean Ziegler : Dans les favelas du nord du Brésil, il arrive aux mères, le soir, de mettre de l'eau dans la marmite et d'y déposer des pierres. A leurs enfants qui pleurent de faim elles expliquent que "bientôt le repas sera prêt…", tout en espérant qu'entre-temps les enfants s'endormiront.
Mesure-t-on la honte éprouvée par une mère devant ses enfants martyrisés par la faim et qu'elle est incapable de nourrir?
Or l'ordre meurtrier du monde - qui tue de faim et d'épidémie 100 000 personnes par jour - ne provoque pas seulement la honte chez ses victimes, mais aussi chez nous, Occidentaux, Blancs, dominateurs, qui sommes complices de cette hécatombe, conscients, informés et, pourtant, silencieux, lâches et paralysés.
L'empire de la honte? Ce pourrait être cette emprise généralisée du sentiment de honte provoqué par l'inhumanité de l'ordre du monde. En fait, il désigne l'empire des entreprises transcontinentales privées, dirigées par les cosmocrates. Les 500 plus puissantes d'entre elles ont contrôlé l'an passé 52 % du produit mondial brut, c'est-à-dire de toutes les richesses produites sur la planète. 

Dans votre livre, vous parlez d'une "violence structurelle". Qu'entendez-vous par là ?
Jean Ziegler : Dans l'empire de la honte, gouverné par la rareté organisée, la guerre n'est plus épisodique, elle est permanente. Elle ne constitue plus une crise, une pathologie, mais la normalité. Elle n'équivaut plus à l'éclipse de la raison - comme le disait Horkheimer -, elle est raison d'être même de l'empire. Les seigneurs de la guerre économique ont mis la planète en coupe réglée. Ils attaquent le pouvoir normatif des Etats, contestent la souveraineté populaire, subvertissent la démocratie, ravagent la nature, détruisent les hommes et leurs libertés. La libéralisation de l'économie, la "main invisible" du marché sont leur cosmogonie ; la maximalisation du profit, leur pratique. J'appelle violence structurelle cette pratique et cette cosmogonie. 

Parlez également d'une "agonie du droit". Que veut dire cette formule?
Jean Ziegler : Désormais, la guerre préventive sans fin, l'agressivité permanente des seigneurs, l'arbitraire, la violence structurelle règnent sans entraves. La plupart des barrières du droit international s'effondrent. L'ONU elle-même est exsangue. Les cosmocrates sont au-dessus de toute loi. Mon livre fait le récit de l'effondrement du droit international, citant de nombreux exemples tirés directement de mon expérience de rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation. 

Vous qualifiez la famine d'"arme de destruction massive". Quelles solutions préconisez-vous?
Jean Ziegler : Avec la dette, la faim est l'arme de destruction massive qui sert aux cosmocrates à broyer - et à exploiter - les peuples, notamment dans l'hémisphère Sud. Un ensemble complexe de mesures, immédiatement réalisable et que je décris dans le livre, pourrait rapidement mettre un terme à la faim. Il est impossible de les résumer en une phrase. Une chose est certaine : l'agriculture mondiale, dans l'état actuel de sa productivité, pourrait nourrir le double de l'humanité d'aujourd'hui. Il n'existe donc aucune fatalité: la faim est faite de main d'homme. 

Certains pays sont écrasés, dites-vous, par une "dette odieuse". Qu'entendez-vous par "dette odieuse" et quelles solutions préconisez-vous ?
Jean Ziegler : Le Rwanda est une petite république paysanne de 26 000 km2, située sur la crête de l'Afrique centrale séparant les eaux du Nil et du Congo, et cultivant le thé et le café. D'avril à juin 1994, un génocide effroyable, organisé par le gouvernement hutu allié à la France de François Mitterrand, a provoqué la mort de plus de 800 000 hommes, femmes et enfants tutsis. Les machettes ayant servi au génocide ont été importées de Chine et d'Egypte, et financées, pour l'essentiel, par le Crédit Lyonnais. Aujourd'hui, les survivants, des paysans pauvres comme Job, doivent rembourser aux banques et aux gouvernements créanciers jusqu'aux crédits qui ont servi à l'achat des machettes des génocidaires. Voilà un exemple de dette odieuse. La solution passe par l'annulation immédiate et sans contrepartie ou, pour commencer, par un audit de celle-ci, comme le préconise l'Internationale socialiste ou comme l'a fait au Brésil le président Lula, pour ensuite la renégocier poste par poste. Dans chaque poste, il y a en effet des éléments délictueux – corruption, surfacturation, etc. - qui doivent être réduits. Des sociétés internationales d'audit, comme PriceWaterhouseCooper ou Ernst & Young, peuvent tout à fait s'en charger, comme elles se chargent, chaque année, de vérifier les comptes des multinationales. 

Vous citez à plusieurs reprises le président Lula da Silva comme modèle. Qu'est-ce qui vous inspire cette considération dans son action?
Jean Ziegler : J'éprouve à la fois de l'admiration et de l'inquiétude en considérant les objectifs politiques et l'action du président Lula : de l'admiration parce qu'il est le premier président du Brésil à accepter de reconnaître que son pays compte 44 millions de citoyens gravement et en permanence sous-alimentés et à vouloir mettre un terme à cette situation inhumaine ; de l'inquiétude, aussi, parce qu'avec une dette extérieure de son pays de 235 milliards de dollars Lula n'a pas les moyens d'en finir avec cette situation. 

Dans votre livre vous parlez également d'une "reféodalisation du monde". Qu'entendez-vous par là?
Jean Ziegler : Le 4 août 1789, les députés de l'Assemblée nationale française ont aboli le régime féodal. Leur action a eu un retentissement universel. Or, aujourd'hui, nous assistons à un formidable retour en arrière. Le 11 septembre 2001 n'a pas seulement fourni à George W. Bush l'occasion d'étendre l'emprise des Etats-Unis sur le monde, l'événement a aussi justifié la mise en coupe réglée des peuples de l'hémisphère Sud par les grandes sociétés transcontinentales privées. 

Dans votre livre, vous faites très souvent référence à la Révolution française et à certains de ses protagonistes (Danton, Babeuf, Marat…) : en quoi estimez-vous qu'elle a encore quelque chose à apporter, deux siècles après et dans un monde bien différent?
Jean Ziegler : Lisez les textes! Le Manifeste des Enragés de Jacques Roux fixe l'horizon de tout combat pour la justice sociale planétaire. Les valeurs fondatrices de la république, mieux, de la civilisation tout court, datent de l'époque des Lumières. Or l'empire de la honte détruit jusqu'à l'espérance de la concrétisation de ces valeurs.

Dans votre livre, vous reprochez à la guerre globale contre le terrorisme de détourner des ressources nécessaires à d'autres combats plus importants, comme celui contre la faim. Pensez-vous que le terrorisme soit une fausse menace, cultivée par quelques Etats ? Si oui, qu'est-ce qui vous le fait penser ? Pensez-vous que cette menace n'est pas réelle ou qu'elle mérite un traitement différent?
Jean Ziegler : Le terrorisme d'Etat des Bush, Sharon, Poutine… est aussi détestable que le terrorisme groupusculaire du Djihad islamique ou d'autres fous sanguinaires de ce type. Ce sont les deux faces d'une même barbarie. Elles sont bien réelles l'une et l'autre, puisque Bush tue et que Ben Laden tue. Le problème est l'éradication du terrorisme : il ne peut se faire que par un bouleversement total de l'empire de la honte. La justice sociale planétaire seule pourra couper les djihadistes de leurs racines et priver les laquais des cosmocrates des prétextes de leurs ripostes. 

En 2002, vous avez été nommé rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation. Quelle réflexion avez-vous tiré de cette mission ?
Jean Ziegler : Mon mandat est passionnant : dans une totale indépendance - responsable devant l'Assemblée générale de l'ONU et la commission des droits de l'homme -, je dois rendre justiciable, par le droit statutaire ou conventionnel, un nouveau droit de l'homme : le droit à l'alimentation. C'est un travail de Sisyphe ! Il progresse millimètre par millimètre. Le lieu essentiel de ce combat, c'est la conscience collective. Longtemps, la destruction des êtres humains par la faim a été tolérée dans une sorte de normalité glacée. Aujourd'hui, elle est considérée comme intolérable. L'opinion fait pression sur les gouvernements et les organisations interétatiques (OMC, FMI, Banque mondiale, etc.) afin que des mesures élémentaires soient prises pour abattre l'ennemi : réforme agraire dans le tiers-monde, prix convenables payés pour les produits agricoles du Sud, rationalisation de l'aide humanitaires en cas de brusques catastrophes, fermeture de la Bourse des matières premières agricoles de Chicago, qui spécule à la hausse sur les principaux aliments, lutte contre la privatisation de l'eau potable, etc. 

Dans votre livre, vous apparaissez comme un défenseur de la cause "altermondialiste", voire comme un porte-parole de ce mouvement. Comment se fait-il que vous interveniez si rarement dans les manifestations "alter" et que l'on ne vous considère généralement pas comme un intellectuel "alter" ?
Jean Ziegler : Comment donc ? J'ai parlé devant 20 000 personnes au "Gigantino" de Porto Alegre en janvier 2003. Je me sens comme un intellectuel organique de la nouvelle société civile planétaire, de ses multiples fronts de résistance, de cette formidable fraternité de la nuit. Mais je reste fidèle aux principes de l'analyse révolutionnaire de classe, à Jacques roux, Babeuf, Marat et Saint-Just. 

Vous semblez attribuer tous les malheurs du monde aux multinationales et à une poignée d'Etats (Etats-Unis, Russie, Israël…) : n'est-ce pas un peu réducteur ?
Jean Ziegler : L'ordre du monde actuel n'est pas seulement meurtrier, il est également absurde. Il tue, détruit, massacre, mais il le fait sans autre nécessité que la recherche du profit maximal pour quelques cosmocrates mus par une obsession du pouvoir, une avidité illimitée.
Bush, Sharon, Poutine ? Des laquais, des auxiliaires. J'ajoute un post-scriptum sur Israël : Sharon n'est pas Israël. Il est sa perversion. Michael Warshavski, Lea Tselem, les "Rabbins pour les droits de l'homme" et maintes autres organisations de résistance incarnent le véritable Israël, l'avenir d'Israël. Ils méritent notre totale solidarité. 

Pensez-vous que la morale a sa place dans les relations internationales, qui sont plutôt dictées par les intérêts économiques et géopolitiques ?
Jean Ziegler : Il n'y a pas le choix. Ou bien vous optez pour le développement et l'organisation normative ou bien vous choisissez la main invisible du marché, la violence du plus fort et l'arbitraire. Pouvoir féodal et justice sociale sont radicalement antinomiques.
"En avant vers nos racines", exige le marxiste allemand Ernst Bloch. Si nous ne restaurons pas de toute urgence les valeurs des Lumières, la République, le droit international, la civilisation telle que nous l'avons bâtie depuis deux cent cinquante ans en Europe vont être recouverts, engloutis par la jungle. 

Depuis le départ des talibans, le Moyen-Orient et le monde arabo-musulman semblent parcourus par une vague de démocratisation plus ou moins spontanée (élections en Afghanistan, en Irak, en Palestine, ouverture de la présidentielle à d'autres candidats en Egypte…). Comment jugez-vous cela et pensez-vous que la démocratie puisse s'exporter dans ces pays ? Ou croyez-vous qu'ils sont condamnés à avoir des régimes despotiques ?
Jean Ziegler : Il ne s'agit pas "d'exporter la démocratie". Le désir d'autonomie, de démocratie, de souveraineté populaire est consubstantiel à l'être humain, quelle que soit la région du monde où il est né. Mon ami le grand sociologue syrien Bassam Tibi veut une existence en démocratie et y a droit. Or, depuis trente ans, il vit en Allemagne, en exil de la dictature effroyable qui sévit dans son pays. Elias Sambar, écrivain palestinien, un autre de mes amis, a droit à une Palestine libre et démocratique, non pas à une Palestine occupée, ni à une vie sous la férule d'islamistes obscurantistes. Tibi, Sambar et moi voulons la même chose et y avons droit : la démocratie. Le problème: la guerre froide, l'instrumentalisation des régimes en place par les grandes puissances, enfin la lâcheté des démocrates occidentaux, leur manque de solidarité active et réelle font que les tyrans du Moyen-Orient, d'Arabie Saoudite, d'Egypte, de Syrie, du Golfe, d'Iran ont pu durer jusqu'à aujourd'hui.

Gian Paolo Accardo
 
Un nouveau témoignage… :)

 Moi, conseiller dans une agence bancaire, je travaille dans l’une des grandes banques françaises, comme conseiller aux particuliers. Le poste est accessible dès Bac+2.
Je précise que je ne me destinais pas à cette branche, ayant un diplome en gestion de patrimoine, mais comme tant d’autres jeunes j’ai pris ce qu’il y avait à prendre..
L’année de travail est rythmée par des challenges commerciaux. Avant mon arrivée, jusqu’au milieu des années 2000, ils duraient 2 mois ; et étaient entrecoupés de 15 jours off. Aujourd’hui, ils durent 4 mois, et ne s’arrêtent qu’entre fin juillet et début septembre.
L’année, donc le temps, sont constamment rythmés par cette course aux résultats, qui met chacun en concurrence avec ses voisins. Et maximise le résultat global en maintenant perpétuellement les moins bien classés sous pression. Celà ne crée certes pas de Troubles musculo-squelettiques, mais c’est usant à la longue.
La quasi totalité des produit sont quantifiés, sur un objectif final à réaliser à terme, et un plan de marche quotidien à respecter pour l’atteindre : épargne logement, assurance vie, collecte (faire entrer plus d’argent qu’il n’en sort), prévoyance, assurances, comptes courants,…
La course ne s’arrête jamais. Et maintient l’espace temps dans un court termisme absolu.
Parce qu’il faut non seulement reussir l’objectif final, mais aussi être “dans le vert” (respecter le plan de marche au jour le jour), sur le fichier excel de votre n+1/n+2. Et ça sur tous les compteurs comme ils disent, idéalement.
Je suppose que les objectifs annuels sont tout bonnement divisés par le nombre conseillers, et “saisonnalisés” selon les priorités du moment.
“Conseiller” est d’ailleurs un terme plutôt destiné à la communication externe. En interne, nous sommes appelés “vendeurs”.
Quoi qu’il en soit, l’obtention de bons résultats pour chaque supérieur hiérarchique, du sommet à la base, dépend de l’atteinte de leurs objectifs par ses subordonnés directs.
Pas forcément révolutionnaire cette organisation. Mais insidieuse, car la pression s’accroît plus on descend dans la hiérarchie. D’autant qu’à chaque échelon les collaborateurs sont également en concurrence entre-eux. Ce qui incite mécaniquement à des comportements peu vertueux vis-à-vis du public, voire même dangereux pour l’entreprise elle-même.
Car seule l’obtention de (très) bons résultats dans la durée peut vous permettre d’accéder à l’échelon suivant. Pour un conseiller, celà signifie être régulièrement aperçu dans les 15/20 premières places sur au moins 12 à 18 mois. Et produire un chiffre d’affaires considérable.
Nous sommes ainsi par exemple lourdemment incités à “compléter” l’ouverture d’un compte courant ou un changement de carte bleue par la vente d’assurances additionnelles. Celles-ci ne sont pas intégrées au package de base, et donc non obligatoires. Mais la consigne est répetée lors des réunions commerciales.
Curieux, quand dans le même temps une des devises commerciales de l’établissement indique que l’intérêt de la banque passe après celui du client.
Concrètement, il s’agit d’annoncer au client le prix assurance incluse, à charge pour lui de comprendre qu’elle n’est dans les faits qu’optionnelle… Pas mal.
Concernant la bourse, les dirigeants ont bien compris l’aversion au risque intrinsèque à l’épargnant “moyen” français, ainsi que son potentiel manque de réactivité face à la volatilité des indices. Surtout depuis que la maison a eu quelques démêlés judiciaires dans ce domaine.
Dorénavant, il sort en moyenne chaque année un ou deux produits de type : fonds à promesse.
Le capital y est garanti à une échéance qui varie de 4 à 8 ans quoi qu’il arrive. La performance dépend des résultats sur la période, de l’indice de référence. Qui peut être un indice (Cac 40), ou un panier d’indices. Si l’indice de référence est positif à terme, le rendement le sera aussi, mais dans une fourchette déterminée à l’avance. Le rendement est nul ou quasi si l’indice est stable ou négatif. Mais si l’épargnant a besoin de tout ou partie de la somme avant échéance, il sort au cours du jour (donc potentiellement en perte), et perds de facto 4% de pénalité sur le capital investi.
Si comme moi vous lisez régulièrement avec plaisir Olivier, ou d’autres (Paul Jorion par exemple), vous savez que mettre en quarantaine plusieurs milliers d’euros sur le marché action à l’heure actuelle est probablement sensiblement témeraire.
Et ce d’autant plus si le client investisseur n’a que pas ou peu d’épargne facilement disponible par ailleurs. Mais si la direction a décidé de mettre l’accent sur ce produit (ou que le n+2 a décidé de “se montrer” pour consolider son évolution future), il va bien falloir “produire”. Tant pis pour ceux qui auront besoin de leur argent en cours de route. Ou qui s’apercevront dans 6 ans que, compte tenu de la chute de l’indice, ils y ont gagné moins que rendement d’un livret A…soit moins que l’inflation!!
Les reportings sont un bon moyen de coercition. Comme dans beaucoup d’entreprises, les managers sont debriefés chaque semaine, et font de même avec leurs subordonnés.
Mais quand les choses vont mal au classement, les choses s’instensifient. On peut vous appeler/convoquer tous les jours pour savoir où vous en êtes. Vous envoyer en session de rattrapage accélérée, pour vous remettre sur les rails. Vous imposer des séances de phoning, pour avoir plus de grain à moudre ensuite ; et vous y superviser physiquement. Parce qu’il y a évidemment un nombre minimal de rdv à effectuer sur la semaine.
Normal me direz-vous, qu’on ne soit pas payé à rien faire. Sauf qu’il ne s’agit pas selon moi de conseil tel qu’on pourrait le concevoir naïvement. C’est simplement statistique. Plus vous avez d’opportunités, plus vous produirez. Régulièrement en retrait commercialement, vous pouvez faire une croix sur toute forme d’évolution. Mais à terme, c’est votre place même qui peut être en danger.
Alors oui, les résultats sont globalement obtenus. De toutes les façon si vous n’êtes pas content, vue la situation du marché de l’emploi vous n’êtes pas franchement en position de vous rebeller ; ce qu’ils ont bien compris croyez-moi. Et, entre-nous soit dit, ça semble être peu ou prou la même chose ailleurs.
Mais si vraiment l’effondrement final doit avoir lieu, avec le cataclysme boursier qu’on peut imaginer, ou seront les managers qui ont préconisés ce fonds dans 4/5 ans ? Promus, soit sur un meilleur emplacement au même grade, soit dans les hautes sphères de la banque. Les conseillers eux seront passés directeurs d’agences, ou conseiller pro. Chacun aura (selon son grade) tiré profit financièrement/professionnellement de l’opération.
Simplement, la vraie gestion de portefeuille nécessite un suivi long terme; d’autant plus si le produit ne permet de sortie qu’à 4, 6, ou 8 ans. Mais la multiplication des objectifs et autres campagnes commerciales, le volume d’activité et les contraintes administratives (reporting) peuvent rendre ce suivi délicat.
L’obsession du court terme, encore et toujours.
Et la mobilité (interne ou externe) inhérente à notre marché du travail actuel.
J’ai vu des clients littéralement s’effondrer dans mon bureau. Les autres, la majorité, sont à la fois résignés et pleins de colère, presque épidermique chez certains, dès que le sujet est abordé.
Ils ont pour la plupart investis en haut de la désormais fameuse bulle Internet du début des années 2000. Ou au milieu des années 2000, peu avant le début du grand chambardement actuel. Bien garnis leurs PEA et comptes-titres, encouragés par leurs conseillers de l’époque, eux-mêmes largemment poussés à faire “profiter de rendements intéressants” à leur client. Aujourd’hui, les clients pleurent quand je leur annonce qu’ils n’ont que deux solutions:
  • faire le dos rond en attendant une hypothétique remontée (de l’inflation?? Ça oui peut-être..)
  • basculer en fonds euros, pour regagner sa mise, déduction faite des droits d’entrées, en disons…12 ans?? (“Bah oui Mme, c’est du 3% par an…”)
Mais en réalité, je ne suis moi-même là que pour leur vendre le dernier rejeton du produit en question!!
Ou autre chose. Tout ce que je pourrai en fait.
Ici aussi, rien n’a changé.
Les stratégies du top managment ces derniers mois m’ont également mis la puce à l’oreille.
Les lecteurs assidus que nous sommes de ce blog savons qu’en réalité l’édifice financier entier est moribond depuis 2008. Donc eux le savent aussi, énarques de leur état.
Comment un tel fiasco a-t-il bien pu se produire?? Quid de la suite sur cette branche d’activité?
Je suis comme vous, informé par le web… Là-dessus, no comment.
Ca laisse le sentiment diffus d’une grande précipitation, voire d’un aveuglement financier bien connu..
Plus récemment, il a été décidé d’appliquer une tarification forfaitaire aux comptes courants dits inactifs, c’est-à dire sans opération sur au moins 12 moins consécutifs. La modification, applicable quelques mois plus tard, a été imposée aux clients via l’envoi d’un simple courrier, et n’a même pas été concertée avec la base. C’était soit ça soit clôturer volontairement son compte. Sympa! Comme souvent dans ce cas de figure, nous recevons (après coup) un argumentaire type à rétorquer en cas de contestation. Nous l’avons donc découvert sur le tas.
Pour information, il s’agit dune multiplication unilatérale du prix annuel par 10…
L’affaire a évidemment fait du bruit. Le bouche à oreille, avec les réseaux sociaux et autres associations de consommateurs, ça peut aller si vite. A tel point que la banque a dû se dédire publiquement, allant même jusqu’à remettre en cause le tarif initialement imposé, et l’importance même du courrier. (!)
Personnellement j’ai “perdu” 50 000€ d’objectifs sur mon portefeuille dans cette histoire.
Si la même mésaventure est arrivée à plusieurs collègues face à des clients mécontents, ce sont facilement des sommes astronomiques qui s’évaporent instantanément du bilan de la banque.
Et rendent aussitôt la réalisation des objectifs (de collecte) hypothétique. Si vous connaissez beaucoup de commerçants capables de faire passer une aussi grosse pilule facilement, appelez-moi.
Qui a décidé des objectifs? Le board.
Qui a décidé d’augmenter si soudainement les tarifs? Le board.
Qui viendra me tancer si jamais je ne réalise pas mes objectifs? Le même board..
Résultat des courses : l’augmentation tarifaire (donc le gain escompté) s’éloigne, au moins temporairement,mais commercialement/médiatiquement le mal est bel et bien fait. On dit merci qui?
Ce même board accueille depuis quelques temps l’un des ex-dirigeants d’une des plus prestigieuses banques étrangères.
Ici aussi, on voit que “rien n’a changé”.
En faillite en 2008 à cause des prêts toxiques, la valeur de l’action de cette banque s’est effondrée à ce jour de plus de 95% sur les 5 dernières années.
Si le Pdg de l’époque est bien parti avec environ 700k€ de primes, il y a aussi eu 9000 postes détruits. Tout ceci a bien évidemment coûté des dizaines de milliards au contribuable local ; puisque la banque a été nationalisée. Et là aussi , soit dit en passant, on a socialisé les pertes (après avoir privatisé les profits pendant les belles années).
Du coup, je suis devenu plus ou moins imperméable à ces discours moralisateurs parlant d’efforts, de courage, de mérite ou encore de responsabilité.. Qu’ils me soient appliqués individuellement dans mon travail, ou qu’ils concernent plus généralement la sévère dérégulation (accélérée) en cours sous nos yeux un peu partout, d’ailleurs.
Car ici aussi il faut “réduire les coûts”.
Mon agence a perdu deux postes de conseillers en seulement quelques années. Dans les grandes agglomérations, les agences ont été fusionnées deux par deux. Celà permet d’économiser sur les doublons ; notamment de ne payer qu’un seul directeur plutôt que deux. Le “survivant”, sera secondé sur le terrain par un collaborateur non cadre, chargé en clair de faire tourner la boutique quand le directeur est absent. Pratique le collaborateur, il assure et, même légèrement promu, coûte deux fois moins à l’entreprise.
De très nombreux départs ne sont pas remplacés. Des services externalisés. Ce qui altère mécaniquement, soit la qualité du service, soit le bien-être des collaborateurs.
Sur la partie non bancaire, le guichet public a été refait 3 fois sur les dernières années. De 5 positions de travail, il est passé à 4, puis 2, puis 1. En tout juste 6 ans ! Chapeau.
J’appelerais celà l’allégorie de la grenouille pour ceux qui connaissent. Ce guichet dorénavant unique est de plus en plus intermittent. Régulièrement fermé une voire deux heures avant l’heure officielle. Nous disons “panne informatique” là ou il faudrait dire : pas de personnel. Ou plus exactement: pas de volontaires pour assumer, à ses frais, les conséquences d’une réorganisation dont il sort individuellement plus perdant que bénéficiaire. Un guichetier non bancaire est embauché au Smic.
Certains clients mécontents nous traitent alors de nantis, feignants, etc  Comique, alors que leur inconfort a pour cause une vision rationnelle des coûts.
Toujours sur le non bancaire, le samedi est devenu le jour de l’étudiant. Ils sont de plus en plus à venir en extra, faire le travail. Ils sont aux côtés de stagiaires et intérimaires, eux aussi en expansion. Parfois 3 ou plus simultanément ! Pratique, la boutique tourne avec des stagiaires qui coûtent entre 400 et 500 euros par mois. Les intérimaires eux sont renouvelables au mois.
Ah, le coût du travail…
Symboliquement, et très visuellement, la vente y est devenue l’essentiel de l’activité, au détriment du service d’intérêt général. Ces derniers temps je constate que ma propre rémunération variable semble se corréler inversement à la pression subie.
L’endroit où se créée facilement le précédent, la brèche, qui sera ensuite généralisée à toutes les catégories (cf les retraites).
Non, pas de quatorzième mois. Le treizième? J’aurais bien aimé.. 200€ d’intéressement et puis s’en va…
Ma banque ne fonctionne pas différement du modèle que la finance généralise dans toute la société. Dérégulation pour tout horizon. Course à la performance individuelle, soi-disant synonyme
d’enrichissement futur. Cet enrichissement ne concerne en réalité que le dernier décile.
Nous autres ne sommes qu’un indispensable marchepied. Joli jeu de dupes.
Tout ceci est subtilement mené, mettant progressivement la population devant le fait accompli.
Plus problématique: l’énorme majorité n’y voit encore que du feu, continuant de s’en prendre plutôt à son voisin.
Signé : un lecteur du blog…

Un tunnel peut en cacher un autre

Un tunnel peut en cacher un autre

3 septembre 2012
On savait bien que le plus difficile pour François Hollande n’était pas de se faire élire mais de prendre le pays en charge à un moment extraordinairement difficile sur le plan économique. Son silence sur ces questions durant la campagne pouvait soit être de la tactique politique, soit l’absence de plan stratégique. Quatre mois après son élection, il n’a pas encore articulé sa vision d’une crise qui ne cesse de s’aggraver dans la zone euro. En mettant bout à bout les petites phrases des uns et des autres, on sent le débat et, peut-être la direction dans laquelle Hollande semble se diriger, et ce n’est pas très rassurant.
La première question est celle de la dette publique. Hollande semble avoir décidé de respecter la vision allemande de la discipline budgétaire : ce sera 3% de déficit en 2013, et 0% en 2017, comme promis par Sarkozy. L’argument officiel est que toute reculade serait interprétée par les marchés financiers comme un marque de laxisme, ce qui précipiterait la France dans le panier des pays en crise. Cet argument reflète une profonde méconnaissance des marchés financiers. Les marchés comprennent qu’il faut du temps pour retourner la situation et que cela ne se fera certainement pas dans un contexte de récession. Or les objectifs annoncés exigent une politique budgétaire restrictive qui va plomber la croissance et produire une récession. Rien de ce qui est dit ne se produira. Autrement dit, les objectifs annoncés ne sont pas crédibles et les marchés raisonnent avant tout en terme de crédibilité.
La crédibilité n’est pas une question de 2013 ou de 2017. La France doit prouver que, sur le long terme, qui se mesure en décennies et non en années, la dette publique sera ramenée à un niveau soutenable, disons de l’ordre de 50% du PIB. Cela demande une stratégie économique et des changements institutionnels. On sait depuis longtemps que les stabilisations budgétaires qui réussissent sont celles qui se basent sur une réduction des dépenses de l’État. La chance de Hollande est que la France est numéro 1 au monde en matière de dépenses publiques, 55% du PIB. Tailler dans le gras devrait être techniquement facile. Mais c’est aussi politiquement délicat. Déjà certains syndicats et autres groupes de pression s’agitent pour défendre leurs parts du gâteau. Hollande aura établi sa crédibilité lorsqu’il aura défini la liste des réductions de dépenses, étalées sur aussi longtemps qu’il veut, mais chiffrées avec précision et calées sur une volonté inflexible. Oui, couper les dépenses a la réputation d’être de droite, mais le gouvernement français est tout bonnement obèse. Soigner sa maladie est au-delà des clivages politiques. C’est désormais la condition sine qua non de la crédibilité.
Sur le plan européen, la situation est la même. Merkel a offert à Hollande sa croissance, quelques mesurettes symboliques, mais elle s’efforce de tenir le cap sur les orientations fondamentales. Elle se trompe profondément, l’austérité imposée est un échec de plus en plus criant, et elle devra reculer, comme elle l’a déjà beaucoup fait depuis deux ans sous la pression des marchés financiers. Face à une stratégie claire mais erronée, Hollande pourrait être celui qui fait bouger les lignes, mais c’est lui qui semble reculer. La semaine dernière, recevant le Premier ministre grec venu demander un répit dans l’austérité, Hollande a collé à la ligne Merkel, celle qu’il avait dénoncée durant la campagne. Il pourrait s’inspirer de la nouvelle BCE qui avance pas à pas des idées nouvelles et force ainsi Merkel à évoluer. Mais cela demande des idées précises qui s’articulent autour d’une stratégie viable.
En fait, budget de la France et crise européenne relèvent de la même problématique. La plupart des pays européens sont ou seront en récession et n’ont plus les moyens de faire de la relance budgétaire. La politique monétaire a atteint ses limites avec un taux d’intérêt proche de zéro. Les marchés paniquent périodiquement face à la montagne des dettes publiques. C’est un héritage épouvantable, le résultat de trop d’années de laxisme budgétaire et bancaire. La bonne réponse est logique : apurer le passé et faire en sorte que ceci ne se reproduira plus jamais. Les Allemands veulent avant tout s’attaquer au « plus jamais », en imposant des punitions qui ne seront pas oubliées. Face à cette déviance moralisatrice, il est essentiel de séparer les deux questions.
Apurer le passé consiste à nettoyer les écuries, ce ne sera pas une partie de plaisir. Inévitablement, certains pays vont devoir répudier en partie leurs dettes, ce qui va conduire des banques à la faillite. Les marchés financiers ont compris cette évolution aussi catastrophique qu’inéluctable. Il faut donc les stabiliser, et ensuite il faudra remonter les banques. Les sommes nécessaires, plusieurs milliers de milliards d’euro, ne sont disponibles nulle part. Seule la BCE peut « trouver » ces euros. Elle devra briser ses tabous en garantissant partiellement les dettes publiques et en agissant comme prêteur en dernier ressort pour remettre à flot le système bancaire. Elle s’y prépare activement, face à une Allemagne pétrifiée par la remise en cause des principes de bonne gestion.
C’est pour cela qu’il faut, en même temps, mettre en place les arrangements qui garantissent le « plus jamais ». Plus jamais de déficits de confort, c’est le pacte budgétaire. Plus jamais de banques qui s’imaginent éternelles car protégées par l’argent du contribuable, c’est l’union bancaire.
La petite musique parisienne est très loin de tout cela. L’apprentissage risque d’être pénible et, malheureusement, le temps est compté. Encore quelques semaines et toutes ces questions vont surgir. On ne gère pas une crise financière majeure avec de belles phrases, une com élaborée et des calculs politiques. Quand la ligne Merkel s’effondrera, ce seront ceux qui ont les bonnes idées qui vont piloter la suite des événements. Peut-être les Allemands eux-mêmes ? Peut-être d’autres leaders, Monti par exemple ? Sûrement la BCE. Il y a des places à prendre.

Croissance: la leçon d'humilité de Dennis Meadows

Croissance: la leçon d'humilité de Dennis Meadows à l'égard des Cassandre incompris

Dennis Meadows est l'un des auteurs du fameux rapport «Les Limites à la croissance» qui, à sa sortie en 1972, avait fait sensation. Avant l'été, il présentait à Paris la traduction de la troisième mise à jour de l'ouvrage.

Une usine de Chandigarh. REUTERS/Ajay Verma. - Une usine de Chandigarh. REUTERS/Ajay Verma. -

De loin, on dirait le plan du métro. Mais non, le dessin imprimé sur le petit sac de toile que brandit Dennis Meadows est une série de courbes. Plein de courbes: la production, la population, les ressources naturelles, l'espérance de vie, j'en passe et des meilleures. Mais elles ont une particularité: toutes ou presque s'arrêtent de grimper à peu près en même temps, pour commencer ensuite une inexorable descente.
Et ce «en même temps», c'est maintenant. Aujourd'hui, ou en tous cas à un moment compris entre un peu avant 2010 et quelque part aux alentours de 2020. Autrement dit, nous sommes en plein dedans: au paroxysme d'une croissance qui ne peut désormais que fléchir.

Ces courbes datent de 1972 et de la publication de l'ouvrage écrit par Dennis Meadows et son équipe de recherche, The Limits to Growth (traduit du reste à l'époque en français, et sans l'autorisation des auteurs, sous le titre un rien fallacieux Halte à la croissance?). 

A l'époque, ses conclusions  avaient fait sensation. «Personne ne parlait de réchauffement climatique ou de pic pétrolier. Ces courbes sortaient tout droit de nos modèles informatiques», rappelle le chercheur américain, de passage à Paris avant l'été pour présenter à la presse, puis en séance publique, la traduction tardive (l'ouvrage est paru en 2004) de la troisième mise à jour du rapport d'origine.  Sensation certes, mais pas au point de changer quoi que ce soit: «Cela fait quarante ans que j'essaie de sensibiliser les gens, et je dois reconnaître que j'ai totalement échoué», reconnaît, calme et posé, Dennis Meadows, aujourd'hui âgé de 70 ans.

Un Cassandre plutôt gentil

Sur le fonds, il n'est plus aujourd'hui qu'un Cassandre —plutôt gentil—parmi une foultitude d'autres.  De nombreux chercheurs ont depuis alimenté ses théories, démontrant de moult façons à quel point notre mode de développement n'est pas durable. Les conclusions de Meadows ne sont du reste guère plus terribles que, dans un tout autre style, celles du Giec ou encore celles de l'économiste Nicholas Stern, mandaté par le gouvernement britannique. 

Dennis Meadows le sait pourtant: Les limites à la croisssance (dans un monde fini) ne seront lues que par un cercle de fidèles déjà convaincus qui, du reste, ont toutes les chances  de les feuilleter rapidement  avant de les ranger dans leur bibliothèque où elles rejoindront peut-être la première version de 1972, dont les pages ne sont du reste guère plus cornées. Toutes ces courbes quand même, c'est un peu lourd à digérer, surtout lorsque l'on est déjà, de toutes façons, persuadé de leur bien-fondé. Les deux rapports côte-à-côte, cela vaut en revanche un sacré certificat d'esprit critique, non?
Dennis Meadows le sait très bien, et, à vrai dire, ne s'en offusque guère. Depuis le temps, il a changé de combat:
«Si vous êtes ici aujourd'hui, c'est que vous êtes convaincus. Inutile donc d'argumenter. Le vrai sujet, c'est: comment faire passer le message?»
Et sans doute était-ce la véritable teneur de sa venue en France: une petite leçon d'humilité à l'usage de tous ces Cassandre —dont lui— qui, convaincus de leur cause, épuisent leur énergie, leur voix, et les oreilles de leur entourage, à prévenir leurs prochains de la catastrophe qui les attend. En vain, forcément, car personne, ou presque, n'a envie de perdre son temps, et son enthousiasme,  à écouter ressasser des méchantes prédictions qui, de toutes façons, même si elles se réalisent, seront bien trop difficiles à éviter. On n'a qu'une vie, n'est-ce pas?

Laisser un espoir aux gens

En 40 ans, Dennis Meadows a eu le temps de réfléchir. Et il a compris quelques petites choses.
D'abord, il faut toujours laisser un espoir aux gens. Même s'il est mensonger. Mieux vaut ainsi éviter d'assener que tout est foutu. C'est très mauvais, personne ne vous croira. Et si quelqu'un vous croit, il haussera les épaules et vous rétorquera: et si c'est foutu, à quoi sert-il d'agir? Et il aura raison.
Alors c'est vrai, nous brûlons notre planète par tous les bouts (c'est difficile car la Terre est ronde, mais nous y arrivons quand même), mais il n'est jamais trop tard. Si nous retroussons nos manches maintenant, dans la joie, la bonne humeur, et la fraternité, nous arriverons forcément à construire un petit nid accueillant pour nos vieux jours et peut-être même pour nos petits enfants.  Je ne sais pas si Dennis Meadows lui-même croit à ce discours —l'optimiste c'était, paraît-il, sa femme, Donnella, décédée en 2001— mais qu'importe, c'est pour la bonne cause.
Dans le même ordre d'idée, le Cassandre devra s'astreindre à une énorme discipline sémantique. Pas question par exemple d'aller convaincre un homme politique des vertus de la «décroissance». «La décroissance —du moins en dehors de France—, c'est vraiment trop négatif. J'ai une amie japonaise qui a fondé un groupe de "décroissants". Elle l'a baptisé "le centre du bonheur humain", c'est bien mieux!», raconte ainsi Dennis Meadows. Pas question non plus de vanter les vertus de l'austérité. Tout au plus peut-on poliment inviter ses semblables à un peu plus de «sobriété». 
Mais il ne faut pas non plus exagérer dans l'autre sens.  Pas question de prôner la «croissance verte» ou la «croissance propre» ou la «croissance équilibrée», simplement pour séduire hommes politiques et chefs d'entreprises. «Dès qu'on met "croissance" quelque part, c'est foutu, constate Dennis Meadows. C'est du reste l'un des problèmes de notre livre, mais en 1972, nous ne le savions pas.  La croissance verte, la croissance propre, tout le monde la veut, car c'est de la croissance!»

Privilégier le terme de «résilience»

Alors, il ne l'a pas inventé, mais Dennis Meadows aime bien le terme de «résilience». «C'est un terme juste, car la résilience, c'est la caractéristique du système qui survit à un choc et continue de fonctionner». Un terme juste, pas trop connoté, et qui peut donc servir à qualifier un projet optimiste: «Construire une économie résiliente».
Le Cassandre, ensuite, devra réfléchir à s'exprimer clairement, distinctement, sans jargon et, si possible, avec des allégories qui font mouche. Dennis Meadows ne parle pas français, mais il prend un soin tout particulier à articuler et à s'exprimer distinctement en anglais. C'est un scientifique, dont les ouvrages regorgent de données, mais son discours est particulièrement clair et imagé:
«Lorsque vous avez un enfant, vous êtes d'abord enthousiasmé par sa croissance physique: vous vous réjouissez de le voir grandir et grossir comme il se doit. Mais lorsqu'il a 15 ou 20 ans, vous passez à autre chose. Et s'il continue à grandir ou grossir, cela risque même de vous inquiéter: aurait-il une maladie cachée? A cet âge, ce qui vous importe, c'est la croissance de son savoir et de ses capacités: en langues, en musique, en relations sociales... N'est ce pas un peu la même chose en matière de croissance économique?»
Le temps que l'auditoire réfléchisse plus avant, l'argument touche, au moins pendant quelques secondes.

Argument-massue des «anti-décroissants»

Mais cela ne suffit pas. Le Cassandre doit se préparer à toutes les attaques. Dennis Meadows n'a pas un instant d'hésitation lorsqu'arrive l'argument-massue des «anti-décroissants»:
«Et les pays pauvres, comment peuvent-ils sortir de la pauvreté si l'on mène une politique de décroissance?»
«Si la croissance était un remède miracle contre la pauvreté, elle n'existerait plus», répond-il du tac au tac. «Et du reste, croyez-vous vraiment que ceux qui avancent cet argument se soucient vraiment du sort des pays pauvres? S'ils s'en souciaient, ils auraient déjà réglé le problème! Occupons-nous donc d'abord de notre propre comportement. Car une chose est sûre, ce n'est pas l'Afrique ou les pays pauvres qui ont pollué notre planète ou épuisé une partie de ces ressources. Ce sont les Etats Unis et les pays du monde développé.»
Le Cassandre, enfin, doit être fataliste:
«Il est évident que toutes les crises que nous vivons sont liées entre elles. Et que pour empêcher qu'elles ne se reproduisent, il faudrait s'atteler à une tâche de long terme. Mais il est évident aussi que le court terme primera toujours sur le long terme. Si nous nous retrouvons à l'instant attaqués par un tigre et que je vous exhorte à travailler à l'avenir de notre planète, vous me répondrez: il faut d'abord échapper au tigre, sinon nous serons tous morts.»
S'il veut éviter l'ulcère d'estomac, le Cassandre doit aussi, avec le temps, devenir philosophe. Et arrêter de se culpabiliser pour sa propre incapacité à convaincre ses semblables.
Longtemps sans doute, Dennis Meadows a cru qu'en expliquant avec pédagogie ses conclusions, il finirait par arriver à ses fins. Aujourd'hui, il est bien plus modeste:
«Beaucoup croient que l'on a besoin de voir pour croire. Je pense que c'est faux. Sinon, tout le monde serait aujourd'hui convaincu. C'est sans doute l'inverse : on voit ce que l'on croit.» 
J'avais vu le plan des lignes de métro....
Catherine Bernard