Préparant la leçon que je donnerai demain sur la distinction faite en 2009 par Lord Adair Turner, le président de la Financial Services Authority,
le régulateur des marchés financiers britanniques, entre activités
financières socialement utiles et activités financières dénuées
d’intérêt, j’ai été surpris par l’un des exemples qu’il offre de ces
dernières : le crédit immobilier. Qu’il mentionne la spéculation comme
étant nocive répond à mon attente, mais le crédit immobilier ?
L’explication
qu’il offre est la suivante : le crédit immobilier sert essentiellement
à ce qu’une génération rachète à la précédente le parc immobilier à un
prix supérieur à ce que celle-ci avait dû payer, et ceci, sans autre
justification qu’un prétendu renchérissement « séculaire » du foncier.
Le résultat, c’est qu’une génération aura besoin pour s’acheter une
maison d’un prêt sur 10 ans, que la suivante devra en obtenir un sur 15
ans, et la suivante encore, sur 20, etc. la limite supérieure dans
l’évolution historique du processus n’étant sans doute rien d’autre que
la durée de vie ultime des emprunteurs.
La population se partage
ainsi selon Lord Adair en deux composantes : ceux qui peuvent s’acheter
un logement et qui s’enrichiront du fait de cette inflation s’assimilant
à un subventionnement générationnel, et ceux qui demeureront en-dessous
du seuil de l’accès à la propriété et seront dans l’incapacité de jouer
de l’effet de levier qu’autorise le crédit immobilier.
Je parle
souvent de la machine à concentrer la richesse qui est inscrite au sein
du fonctionnement du capitalisme, et je désigne le versement d’intérêts
comme étant son moteur, mais Lord Adair a certainement raison : il y a
ici, dans le crédit immobilier, un autre mécanisme contribuant lui aussi
à la concentration de la richesse.
Logiquement du coup, dans le raisonnement de Lord Adair, la titrisation des crédits immobiliers qui déboucha sur la crise des subprimes est également dénuée d’intérêt sur un plan social.
La
titrisation permit, explique-t-il, d’abaisser artificiellement le seuil
séparant les deux catégories de la population que constituent ceux qui
accèdent à la propriété et ceux qui y échouent. Mais l’abaissement de ce
seuil dépendait de l’existence d’une bulle financière, ce que Robert
Shiller appelle une « machine de Ponzi spontanée », et lorsque la bulle
éclate, le seuil existant de fait entre les deux populations se révèle
soudain dans toute sa dureté. Pire encore, il se solidifie : les banques
échaudées par la crise du crédit exigent désormais des apports
personnels substantiels de la part des candidats à la propriété. La
presse française mentionnait ainsi récemment un minimum de 40.000 euros.
Ce sont ces 40.000 € à réunir impérativement par les candidats à l’accès à la propriété qui sépareront d’une part les éternels losers, et d’autre part les futurs gagnants du jackpot que constitue le subventionnement générationnel qu’évoque Lord Adair.
Cet élément de preuve supplémentaire d’un système à deux vitesses n’est pas sans rappeler celui que le héros de La machine à voyager dans le temps
de H.G. Wells découvre dans notre avenir, où l’humanité s’est séparée
en deux sous-populations distinctes : les riches Eloïs et les pauvres
Morlocks. Différence notoire entre le futur hypothétique de Wells et
notre présent : alors que les riches s’y font bouffer par les pauvres,
chez nous, c’est exactement le contraire. Merci à Lord Adair Turner de
nous avoir rappelé une fois de plus cette vérité de base !