jeudi 18 octobre 2012

Cyrano de Bergerac Acte V, 6

Je vais monter dans la lune opaline
Sans qu'il faille inventer, aujourd'hui, de machine
Mais oui c'est là je vous le dis
Que l'on va m'envoyer faire mon paradis
Plus d'une âme que j'aime y doit être exilée,
Et je retrouverai Socrate et Galilée
...
Philosophe, physicien,
Rimeur, bretteur, musicien,
Et voyageur aérien
Grand riposteur du tac au tac
Amant aussi  - pas pour son bien
Ci-gît Hercule -Savinien
De Cyrano de Bergerac
Qui fut tout et qui ne fut rien
Mais je m'en vais, pardon, je ne peux faire attendre
Vous voyez le rayon de lune vient me prendre !
...
Pas là ! non !  pas dans ce fauteuil !
Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
Ganté de plomb !
Oh ! mais ! ... puisqu'elle est en chemin, je l'attendrai debout
Et l'épée à la main !
...
Je crois qu'elle regarde...
Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde
Que dites-vous ?... C'est inutile ?... Je le sais!
Mais on ne se bat dans l'espoir du succès !
Non ! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !
-Qu'est-ce que c'est que tout ceux-là - Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
Tiens tiens ! - Ha ha ! les Compromis
Les Préjugés, les Lâchetés ! ...
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! - Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ;
N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tâche,
J'emporte malgré vous
Et c'est...
C'est ? ...
Mon panache.

Edmond Rostand