jeudi 30 août 2012

Moi, conseiller-vendeur dans une grande surface d’ameublement

Moi, conseiller-vendeur dans une grande surface d’ameublement, mon métier consiste à accueillir et renseigner le client, c’est à dire, le manipuler et lui mentir pour qu’il achète dans mon magasin plutôt qu’ailleurs.

Lorsqu’on pense au rôle du vendeur, on peut imaginer un agent qui détient l’information sur les produits qu’il propose, et qui va permettre au client de trouver plus efficacement celui dont il a besoin, plutôt que de perdre beaucoup de temps à le trouver seul ou à acheter quelque chose d’inadapté.

Là où je travaille, il n’existe pratiquement aucune formation sur les produits. Le savoir du vendeur est principalement constitué d’à priori, et de quelques arguments distillés par des commerciaux qui ont tendance à défendre exagérément ce qu’ils proposent, jusqu’à se contredire lorsqu’ils ne le proposent plus. Des réunions entre vendeurs sont organisées. Il n’est jamais question de faire revenir le client, autrement que par la carte de fidélité, ni de lui rendre le meilleur service possible.

Non. On y dit : « quand on est vendeur, on aime l’argent, quand il y en a à prendre, on prend tout ». « Le client, il entre, tu le plantes ». En réalité, les primes, les augmentations, les promotions, sont directement impactées par la capacité de chacun à réaliser un chiffre important. Ceux qui en font moins sont mis à l’écart. Quoi de plus normal que les plus efficaces soient les mieux récompensés ? Cependant, il arrive un moment où il ne s’agit plus de faire beaucoup de chiffre pour être dans les premiers, mais de réaliser énormément de chiffre. À cette fin, il n’existe que deux méthodes : voler ses collègues, voler le client. Plutôt que de proposer les produits les plus adéquats, il est plus économique de payer un employé à faire semblant qu’ils le soient.
Je ne m’étendrai pas sur les manières de convaincre un client qu’il est en train d’acheter quelque chose de qualité alors qu’il se paye de la saleté venue de loin. Un exemple devrait suffire : mon enseigne a augmenté le prix de la plupart de ses matelas de 40%, afin de les proposer presque toute l’année à -30%. Ce qui peut ressembler à de l’escroquerie n’est qu’une technique commerciale parmi tant d’autres, inspirée par la concurrence.

Ce qui me choque le plus, actuellement, c’est la politique du crédit. Les vendeurs n’ont pas seulement des objectifs de chiffre, ils ont aussi des objectifs de crédits à la consommation. Depuis trois ans, cet objectif tend même à prendre le pas sur toute autre considération. Le discours officiel est purement théorique : grâce au crédit, le client peut acheter de la qualité, et l’emporter tout de suite, plutôt que d’économiser afin d’acheter moins bien plus tard.

Dans les faits, ouvrir des cartes de crédit rapporte des primes au vendeur, et au directeur. Tous les acteurs souhaitent donc en ouvrir le plus possible. Dans un premier temps, il est demandé aux vendeurs de monter en gamme, dépasser le budget initial, et pousser à avoir recours au crédit. Lorsque cela ne fonctionne pas assez, il est demandé de proposer systématiquement le crédit. Lorsque cela ne fonctionne pas assez, des opérations sont mises en place afin que le client qui souscrit un crédit ait accès à un certain nombre de privilèges. Lorsque cela ne suffit pas non plus, il est demandé aux vendeurs de proposer une remise au client, s’il choisit de payer à crédit (et cette fois, c’est illégal).

La foire au crédit ayant commis quelques dégâts considérables, la loi Lagarde est venue à la rescousse des clients à risque. Que contient cette loi ? Hé bien je n’en ai aucune idée, parce que le commercial de la société de crédit, tout à fait « responsable », nous a abrégé en trente minutes une formation pitoyable sur la loi « Largarce », comme lui et ses collègues l’appellent, dont je ne me souviens absolument plus et qui avait certainement pour but de protéger le consommateur, d’une façon ou d’une autre, et ce alors que notre travail consiste exactement à faire le contraire. Ensuite, on a signé un papier stipulant qu’on avait tout compris et donc qu’on vérifierait bien les capacités de paiement de nos clients, à l’avenir.

Certains vendeurs gagnant jusqu’à trois cent euros en un mois grâce aux crédits, je ne crois pas avoir besoin d’expliquer à quel point les capacités de remboursement des clients, on n’y fait jamais allusion. Les vendeurs les plus malhonnêtes (la majorité) leur expliquent même comment mentir sur sa déclaration afin que le dossier passe, histoire de toucher ses cinq euros de prime. « Vous dites que vous êtes en CDI, que vous gagnez bien votre vie, et que l’adresse de votre chéquier est la bonne ». Généralement, le vendeur évite aussi de vous expliquer que vous êtes entrain d’ouvrir une carte de crédit. Ainsi, vous vous retrouvez dans un box à lire et remplir un épais dossier. Enfin, pas si épais que ça, parce qu’une hôtesse me confiait récemment qu’elle ne le fournissait pas en entier, parce qu’elle n’avait pas été formée à répondre aux questions trop techniques, et donc préférait éluder quelques pages.

Mais même avec tout ceci, ces satanés clients n’ouvrent pas assez de cartes. On a donc dit aux caissières que si elles arrivaient à convaincre un client d’ouvrir un crédit, elles gagneraient trois euros.
Malheureusement, la loi Lagarce leur interdisait de proposer un crédit sans avoir suivi la pitoyable formation. Le commercial responsable est donc repassé, mais a préféré gagner du temps, et leur a demandé de simplement signer le papier attestant qu’elles avaient été formées.

Bien évidemment, vu la taille du magasin (une quarantaine d’employés), ces histoires sont anecdotiques. Mais elles révèlent quelques réalités dont il faut avoir conscience lorsqu’on conceptualise l’économie et ses agents :
  • Le client n’est plus roi, il ne s’agit plus de lui rendre service pour faire fonctionner la société, il s’agit de le rentabiliser, il s’agit qu’il devienne efficient dans son rôle de client
  • L’information est biaisée. L’information ce sont des couches de mensonges empilées les unes sur les autres
  • Les clients mécontents changent d’enseigne, et d’autres viennent parce qu’ils sont mécontents des autres enseignes, au moins aussi malhonnêtes
  • Les agents n’ayant que des objectifs quantifiables, finissent en temps de crise par chercher à les atteindre en trichant, et en mentant. Ce sont les plus efficaces à mentir et voler, les moins scrupuleux, qui obtiennent des promotions et des salaires confortables
  • Un vendeur au SMIC peut choisir de vous faire perdre beaucoup d’argent afin de n’en tirer que cinq euros
Signé : un lecteur du blog…
Commentaire Olivier berruyer : donc, le conseil du blog les-crises.fr : la prochaine fois, donnez un pourboire de 6 € au vendeur, il vous conseillera bien et vous gagnerez beaucoup d’argent ;)